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Les études classiques et la liberté de l'esprit, L. Lafforgue

Assemblée générale de S.E.L., 2005

C'est un peu intimidant pour moi qui suis mathématicien d'avoir été invité à prendre la parole devant vous. En même temps, je suis heureux de cette invitation, et j'en remercie votre association pour la sauvegarde des enseignements littéraires et particulièrement Mme de Romilly.

J'en suis heureux d'abord pour des raisons personnelles : je me souviens non sans nostalgie de mes études de latin à l'adolescence, surtout en quatrième et troisième où j'ai eu la chance de suivre le cours d'un professeur redoutable et exceptionnel – de toute ma scolarité au collège et au lycée, c'est le latin dans ces années-là qui m'a demandé le plus de travail. D'autre part, je suis devenu au début du collège un grand lecteur et dévoreur de littérature et le suis resté depuis. Bien que ce long commerce avec la littérature n'ait jamais débouché sur l'écriture et que les circonstances de la vie m'aient conduit vers les mathématiques, mes lectures ont beaucoup contribué à ma formation et je n'ai aucun doute qu'elles ont influencé jusqu'à ma façon de faire des mathématiques.

Au-delà de ces raisons personnelles anecdotiques, je suis surtout heureux de cette rencontre entre un mathématicien, un scientifique donc, et une assemblée de professeurs de lettres, parce que je pense que notre Ecole républicaine, à laquelle vous et moi devons une grande partie de ce que nous sommes, est en danger, et que nous n'aurons de chance de la sauver et de la redresser que si littéraires et scientifiques forment un front commun. Il est évident pour moi que toutes les disciplines sont gravement touchées - par le manque de considération de notre société tout entière pour l'étude et le savoir, par la baisse généralisée des niveaux d'exigence, par le délitement et la déstructuration des contenus, par le refus des enseignements explicites et progressifs. Mais, aussi dramatique que soit la situation de l'enseignement des mathématiques et des sciences, je crois que la situation des lettres, particulièrement des lettres classiques, et par-dessus tout du français dont l'apprentissage est le plus fondamental de tous, est plus dramatique encore. Je voudrais vous livrer aujourd'hui quelques réactions et réflexions d'un mathématicien sur l'importance de l'enseignement du français et des lettres classiques, et quelques sentiments que lui inspire la destruction actuelle de ces enseignements. Que je dise tout de suite que ce qui me paraît en jeu n'est rien moins que la liberté future des jeunes générations, non pas d'abord la liberté politique ni la liberté d'expression mais une liberté encore plus fondamentale qui est la liberté de pouvoir penser par soi-même. Je crois que ne plus enseigner correctement la langue et ne plus nourrir les esprits par la fréquentation des grands auteurs du passé est pire que la censure : c'est empêcher la formation même de la pensée, c'est refuser aux jeunes générations les moyens de la liberté intellectuelle, de la liberté de l'esprit.

Comme mathématicien, je suis extrêmement sensibilisé à la question du langage, je sais combien la construction d'un langage qui rend possible la pensée est difficile, combien son acquisition progressive est ardue pour les nouveaux venus et combien sa préservation est précieuse. Les mathématiques supposent les règles de la logique telles qu'elles furent formulées par Aristote, c'est-à-dire une forme de grammaire, non pas une grammaire de textes mais d'abord et avant tout une grammaire de phrases. Les mathématiques, aussi sophistiquées soient-elles, consistent toujours en des phrases simples et bêtes mises les unes à la suite des autres, phrases qui doivent respecter invariablement les mêmes règles élémentaires. Sans ces règles, sans cette grammaire, il n'y a pas de mathématiques. Les mathématiques supposent l'art de manipuler les règles de la logique, de les associer entre elles souplement, de faire varier les formes du raisonnement avec une parfaite aisance acquise à force d'exercices. Ici encore, je parle des phrases prises isolément. Sans cette liberté de tourner les phases de cent façons différentes pour se plier aux nécessités du raisonnement, il n'y a pas de mathématiques autres que des exercices élémentaires et répétitifs. Les mathématiques supposent l'art de la composition. Tout texte mathématique a des présupposés, un point de départ, et il va vers un but, en suivant des chemins adaptés à son but chaque fois d'une manière différente, des chemins qui peuvent se quitter pour confluer un peu plus tard, se croiser, se diviser avant de converger tous ensemble. Sans la capacité d'organiser le raisonnement puis la traduction du raisonnement dans un texte destiné à être lu, deux travaux qui, par parenthèse, ne se recoupent jamais exactement, il n'existe pas de mathématiques au sens où l'entendent les mathématiciens. Enfin, les mathématiques progressent au cours des siècles principalement par la lente maturation de nouveaux concepts, c'est-à-dire de nouveaux mots qui donnent prise sur les choses. Quand une chose n'est pas nommée, elle reste insaisissable, invisible, impossible à penser. Pour commencer à l'appréhender, les mathématiciens dans leurs longues quêtes n'ont d'abord d'autre ressource que d'employer des périphrases, et il peut arriver que de telles périphrases représentent des centaines de pages de texte. Voici ce qu'il en coûte quand les mots manquent encore et que l'esprit est réduit à tenter de penser sans les mots. Au contraire, quand après de lentes décantations qui, dans l'histoire, prennent parfois des siècles, des mots apparaissent qui permettent de saisir les choses dans leur être, il arrive que certains résultats qui avaient d'abord demandé des livres entiers pour être énoncés et expliqués s'expriment enfin en quelques lignes d'une clarté aveuglante. C'est que la pensée, grâce aux mots, est devenue libre : elle était paralysée par l'impossibilité de dire et voici que, par le progrès de la langue disponible, elle se trouve enfin déliée.

Autant vous dire qu'avec cette expérience de mathématicien, mes cheveux se dressent sur la tête lorsque j'entends dire et que je constate que, de l'école primaire au lycée, l'organisation actuelle de l'éducation néglige la grammaire dont les règles ne sont plus apprises, néglige l'apprentissage systématique des conjugaisons de verbes, néglige l'apprentissage de la langue écrite, néglige les exercices fondamentaux de la rédaction, de la composition, de la dissertation, néglige le vocabulaire et son orthographe.

En effet, je considère tous ces apprentissages fondamentaux comme constituant une part très importante et indispensable de la formation du futur mathématicien ou du futur scientifique. C'est d'abord dans l'étude de la langue naturelle qu'il peut apprendre la logique, la souplesse du raisonnement, l'organisation de celui-ci, la libération de la pensée par l'adéquation des mots aux choses. Il y a quelques semaines, un mathématicien que je connais bien me faisait part de sa surprise de constater que ses élèves en thèse avaient si peu de maîtrise de la langue écrite que, en un renversement historique saisissant, ils écrivaient moins bien qu'ils ne parlaient. Eh bien, je suis persuadé que la pensée de ces doctorants qui bientôt seront des chercheurs restera toujours infirme, y compris comme mathématiciens. A contrario, je peux citer l'exemple du mathématicien français Jean-Pierre Serre (à ne pas confondre avec le philosophe Michel Serres!), qui fut le plus jeune lauréat de la médaille Fields qu'il reçut à 27 ans et, il y a deux ans, le premier lauréat du nouveau prix Abel. En plus de leur profondeur scientifique, toutes les publications de Jean-Pierre Serre sont revêtues d'une perfection d'écriture, d'une clarté limpide, qui font que dans le monde entier il est cité comme un modèle absolu de bonne rédaction. Or, pour un français qui le lit, il est évident que Jean-Pierre Serre, en dehors de son talent personnel, applique à ses exposés de mathématiques du plus haut niveau les règles d'économie et de clarté de la langue française classique que tout simplement il a apprises à l'école dans les années 1930. Ceci étant dit qui déjà est important – la très grande utilité de l'apprentissage rigoureux de sa langue pour le futur scientifique — je voudrais insister encore sur ce que mon expérience de mathématicien m'enseigne du caractère indispensable d'un tel enseignement, non pas seulement pour servir à la créativité scientifique mais pour rendre possibles la pensée et la liberté intellectuelle. Pour moi, avec cette expérience que j'ai, la libération de la pensée commence avec les règles de grammaire, la libération de la pensée commence avec les conjugaisons des verbes apprises par cœur, la libération de la pensée commence avec la maîtrise de la langue écrite dans ses exercices canoniques, la libération de la pensée commence avec l'apprentissage du vocabulaire et avec la bonne maîtrise de l'orthographe.

Certains – peut-être pas parmi vous – trouveraient sans doute que j'exagère d'associer la liberté et le respect de l'orthographe. Pourtant, je persiste et je signe, à cause d'une autre expérience de mathématicien parallèle aux précédentes. Comme mathématicien, je suis chaque jour en contact avec des chercheurs du monde entier dont beaucoup ont des cultures, des histoires personnelles, des convictions, des croyances opposées aux miennes sur bien des points. Or, le milieu des mathématiciens n'est pas conflictuel. Pour autant que les mathématiques sont concernées, nous sommes toujours d'accord les uns avec les autres, nous avons en commun un espace qui nous est cher à tous, où nous reconnaissons tous les mêmes règles de rigueur, où tout ce qui se dit et s'écrit obéit à des lois extrêmement strictes qui sont identiques pour tous. C'est précisément le respect scrupuleux de ces lois dans le monde entier qui permet la constitution d'un espace commun, elles rendent possible à la fois l'expression de chacun d'une façon compréhensible par les autres et la mise à distance de nos travaux, quelle que soit l'énergie que nous y investissons. Ces lois, parce qu'elles sont rigoureuses, rendent les textes en partie impersonnels, elles les détachent de leurs auteurs et les font entrer dans la propriété commune de tous les mathématiciens, susceptible d'être utilisée par tous pour de nouveaux travaux. Bien sûr, chaque texte présente des variations par rapport aux règles absolues, mais ces variations restent petites et elles n'annulent pas le bon effet des règles. Fort de cette expérience, je pense donc que l'Ecole doit enseigner le mieux possible aux enfants l'orthographe correcte et toutes les règles de la langue française telle qu'elle a été forgée à l'époque classique, précisément dans le but de créer un monde commun emprunt de civilité, où les hommes aient la possibilité de parler les uns avec les autres, de penser finement et d'échanger leurs pensées, voire d'exprimer leurs émotions, tout en gardant une certaine distance. Je souhaite ardemment qu'un tel monde commun continue à exister, et je pense que sa condition sine qua non est l'existence d'une langue commune qui obéisse aux règles imaginées à l'époque française classique. Or, en France, nous n'avons pas d'autre langue disponible à cet effet que le français classique.

J'ai d'ailleurs une autre raison de défendre le français classique - une raison qui va m'amener à la seconde partie de mon intervention, c'est que je voudrais que notre monde commun comprenne aussi les anciens.

Comme mathématicien, je me sens proche des anciens, de tous les anciens. En effet, nous autres mathématiciens avons ce privilège d'ignorer les ruptures et les révolutions qui renversent des vérités établies pour leur substituer de nouvelles vérités. En mathématiques, aucun résultat n'est un point final – au sens où toute question peut être indéfiniment approfondie – mais quand un résultat est démontré, il l'est pour toujours. Nous ignorons les remises en cause et les divisions, qu'elles soient vis-à-vis des autres ou par rapport à nos prédécesseurs d'aucune époque. Aussi croyons-nous à la vérité et à la beauté exactement comme Platon.

Je viens de prononcer le mot “beauté” en association avec le mot “vérité” et ce sont bien les deux maîtres mots de tout mathématicien, et je le pense, de tout scientifique, ceux qui donnent sens et vie à sa recherche intellectuelle. Le mathématicien croit que la vérité existe, indépendamment de lui et de tous, et il croit qu'elle l'attend et qu'il fait partie de sa vocation de la chercher : il sait aussi que dans cette quête, la beauté est le plus sûr critère de la vérité, la lumière qui la signale dans la nuit, et quand enfin il atteint une vérité, sa récompense consiste à admirer la beauté. Aussi l'apprentissage du sens et de l'amour de la beauté est-il une composante essentielle de l'éducation du futur mathématicien ou scientifique. Mais il faut bien avouer que la beauté des mathématiques ou des sciences est très difficilement accessible, qu'on ne peut commencer à la percevoir qu'après de très longues années d'études. Pour moi, c'est seulement à 20 ou 21 ans que pour la première fois j'ai été mis en contact avec des textes mathématiques qui m'ont soulevé d'admiration ; avant, ces textes auraient été hors de ma portée. Heureusement, mon sens esthétique avait pu se former beaucoup plus jeune grâce à la littérature.

De mon point de vue de scientifique, l'étude des langues classiques, comme le grec ou le latin, à laquelle on peut s'adonner au collège ou au lycée me paraît particulièrement intéressante et formatrice.

D'abord, comme je viens de dire, cette étude donne accès à une beauté supérieure, celle propre à ces langues et celle des grands textes qui sont parvenus jusqu'à nous. Ensuite, cette beauté de la langue et des textes est à la fois beaucoup plus accessible que la beauté des mathématiques et des sciences contemporaines, et pas immédiatement accessible : on peut la trouver en quelques années mais seulement si on accepte d'y consacrer un travail assidu et prolongé, de faire des efforts dont le fruit n'est pas immédiat, loin s'en faut. Ceci est une grande leçon pour tous et particulièrement pour de futurs scientifiques. Enfin, chose qui plaît particulièrement à un mathématicien comme moi, la beauté supérieure des langues et de la littérature classique est accessible via des apprentissages bêtes : les déclinaisons, les conjugaisons, les listes de vocabulaire, le De viris illustribus qui a le même rapport avec Tacite qu'un manuel de mathématiques scolaires, aussi bon soit-il, avec un vrai texte mathématique. Je dis cela sans la moindre ironie : tous ces apprentissages bêtes sont indispensables, il faut passer par eux, et ceci également est une grande leçon. Je sais comme mathématicien à quel point la tentation de l'intelligence est dangereuse ; cent fois dans la journée le mathématicien a cette tentation, et il doit la rejeter, pour continuer à écrire des choses simples et bêtes les unes à la suite des autres, dans l'espoir d'arriver à un moment de grâce où son intelligence aura disparu, où lui-même aura disparu, et où il écrira en quelque sorte sous la dictée des choses telles qu'elles sont. Je suis persuadé d'ailleurs que la tentation de l'intelligence existe dans tous les domaines, pas seulement en mathématiques, et qu'il faut s'en garder partout. Pour cela, il n'y a pas de meilleure école que les langues classiques : là plus qu'ailleurs il est facile d'admettre qu'il n'y a pas lieu de chercher à être plus intelligent que la langue et que les textes. Bien sûr, je ne dis pas cela contre l'intelligence. Je dis que la vraie intelligence, c'est-à-dire l'esprit s'exprimant librement, est très rare dans la vie de quiconque, et qu'elle n'a de chances de se manifester que par éclairs, à travers de longs travaux fastidieux et bêtes.

Ayant exprimé tout le bien que je pense à propos du laborieux processus d'apprentissage des langues classiques, il me reste à parler de ce qui est plus important encore, à savoir les textes auxquels cet apprentissage donne accès et également les grands textes, les grands classiques de notre littérature et de la littérature universelle.

Je pense que le contact prolongé et approfondi avec la grande culture que l'Ecole peut procurer est la dernière et plus haute marche qui donne aux esprits les moyens de la liberté intellectuelle. En effet, elle est pour moi un immense trésor d'expériences, d'idées, de témoignages, de réflexions que l'esprit humain a produits au cours des siècles et dont nous ne devons pas nous détourner, que nous ne devons pas rejeter, car je sais comme mathématicien à quel point toute vérité est difficile à atteindre, même quand elle est simple, surtout quand elle est simple. Il y a dans ce que les anciens nous ont légué d'innombrables vérités qu'il a fallu des siècles pour mettre au jour et que, si nous dédaignions la culture qui leur donne accès, notre vie entière ne suffirait pas à retrouver. Ce n'est pas que tout dans la culture s'accorde bien avec notre présent. Au contraire, il est impossible qu'elle s'accorde avec n'importe quel présent, et c'est pour cela justement qu'elle est intéressante. La culture introduit à l'inconfort, à l'insatisfaction de soi et du monde, aux contradictions jamais résolues qui sont le lieu de la liberté intellectuelle et de la créativité. Elle est l'antidote du narcissisme contemporain qui endort dans la mort. Peut-être êtes-vous surpris que je fasse maintenant l'éloge des contradictions alors que j'ai dit il y a quelques minutes que les mathématiques ignorent les divisions et les conflits. En fait, les mathématiques écrites formellement et communicables ne connaissent effectivement pas les contradictions et donnent l'exemple d'une créativité qui ne rejette jamais rien du passé, mais d'un autre côté elles existent dans l'esprit des mathématiciens sous la forme d'images mentales approximatives qui souvent s'entrechoquent et paraissent se contredire entre elles. Et chaque fois qu'une telle contradiction semble apparaître, le mathématicien se réjouit car c'est le signe d'un approfondissement nécessaire, l'indice d'une faille par laquelle le réel nous invite à l'explorer. Je parle ici des failles qui apparaissent à l'intérieur du paysage toujours en expansion et en structuration des mathématiques, mais la culture dessine sur l'âme humaine bien d'autres failles plus profondes encore qui invitent non pas à les nier en rejetant un des côtés mais à les reconnaître, à les accepter et à entrer dans un immense travail d'approfondissement qui ne sera jamais achevé. L'une de ces failles est justement celle qui sépare les lettres des mathématiques et des sciences. J'ai beaucoup parlé jusqu'à présent de leurs analogies mais il n'est pas moins vrai qu'elles traitent de questions qui le plus souvent n'ont rien à voir les unes avec les autres et surtout qu'elles correspondent à deux attitudes mentales presque opposées. Pourtant, l'esprit humain ne se sépare pas, et ceci doit être le lieu d'une interrogation jamais lassée. Une autre faille est celle qui sépare notre monde démocratique et individualiste des anciennes mentalités auxquelles la littérature des siècles passés nous donne accès. Pour ma part, aucun écrivain peut-être ne m'a plus influencé que Balzac : j'ai lu et relu plusieurs fois “ La Comédie humaine” d'un bout à l'autre, je crois bien y avoir puisé une part de l'énergie que j'ai investie dans les mathématiques, mais cette lecture m'a aussi persuadé de l'impossibilité morale de rejeter le passé et, par exemple, de ne pas cultiver la nostalgie du Cabinet des Antiques, celle des mondes disparus, des vertus aristocratiques, des valeurs humaines étrangères à la technique. Je suis persuadé que plus grande est la distance de ces mondes au nôtre, plus nous avons besoin d'en garder mémoire et d'interroger cette mémoire, de la creuser indéfiniment car ils ont exprimé d'autres aspects de l'âme humaine qui aujourd'hui nous sont moins sensibles. Il ne s'agit pas de rejeter la modernité – je sais comme mathématicien combien les mathématiques de notre temps sont merveilleuses — mais la liberté et la créativité des modernes passent par la confrontation avec les anciens.

Pour terminer sur une note un peu provocatrice, je voudrais ne pas taire la plus grande de toutes les failles qui traversent notre culture occidentale, celle qui peut-être a été le moteur de l'incomparable créativité que notre culture a connue pendant des siècles. Je veux parler de la tension entre l'héritage intellectuel de la culture classique née en Grèce et l'héritage spirituel de la tradition judéo-chrétienne. L'héritage classique et l'héritage biblique sont entre eux comme l'eau avec le feu. Pourtant je crois que là aussi il ne faut pas rejeter la contradiction mais l'accepter bravement et approfondir sans cesse les questions qui se posent dans l'arc dessiné entre ces deux pôles. C'est pourquoi je souhaiterais que dans les collèges et les lycées il soit possible d'apprendre non seulement le grec et le latin mais aussi l'hébreu.

Quoi qu'il en soit, je suis très heureux d'avoir pu exprimer devant vous à quel point votre mission de professeurs de lettres est importante à mes yeux de scientifique.



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