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Réforme du latin : moins de latin pour tous !

Communiqué de presse commun aux associations

(APFLA-CPL ; APLAES ; APLettres ; CNARELA ; SEL ; SLL)

Le ministère a fait preuve d’une hypocrisie constante ces derniers mois en affichant le ''latin pour tous''. Des accusations éculées contre les langues anciennes - trop ''conservatrices'', ''élitistes'' et ''ségrégatives'' - ont en effet été resservies pour retirer à ces matières leurs horaires d'enseignement. Ces mesures d'économies ont visiblement eu un résultat, au vu des effectifs communiqués récemment par le ministère à la CNARELA : à la rentrée 2016, en 5e, plus de 6 000 élèves manquent à l’appel en latin, si l’on se réfère aux effectifs de la rentrée 2015.

La politique dont se vantait la ministre échoue donc de manière éclatante lors de cette rentrée qui a vu la réforme entrer en application. On sait dans quelles conditions elle a été préparée, en toute hâte, à marches forcées : 

- explosion de la grille des horaires réglementaires (avec diminution des horaires de latin et de grec ancien de 50% en 5e et 30% en 4e et 3e) ;

- changement de l’intégralité des programmes d’enseignement de la 6e à la 3e ;

- disparition du latin et du grec ancien comme disciplines, transformées en ''enseignements de

complément'', absents des grilles réglementaires, alors qu’elles y avaient leur place lorsqu’elles étaient des disciplines optionnelles.

Les formations d’accompagnement, que le ministère a tant mises en avant, n’ont engendré qu’exaspération et désarroi auprès d’un public d’enseignants qui n’adhère pas à cette réforme, non pas qu’il soit réfractaire à tout changement, mais parce qu’il sait qu’elle ne résoudra aucun des problèmes du collège et en créera de nouveaux. Les enseignants du secondaire et du supérieur auraient souhaité être associés bien davantage à la conception même de la réforme, mais on les en a écartés, en leur refusant, entre autres exemples, de consulter l’ensemble des collègues de Lettres classiques sur les nouveaux programmes de latin et de grec ancien.

L’enseignement public est frappé de plein fouet par la perte d’élèves en latin (moins 4 920 élèves), le privé étant pour un moment encore bien loti (moins 1 451 élèves). Il faut préciser qu’il ouvre grand les bras pour récupérer les ouailles qui n’auraient pas encore succombé à ses appels après les réformes et refontes qui se succèdent depuis le début de ce siècle. La fuite dans le privé, que refuse de voir le ministère, est réelle. Car de nombreux établissements privés proposent ce que le public ne propose plus (comme en Bretagne, récemment, où une classe bilangue allemand sera financée pour son ouverture dans le privé en 2017, alors qu’elle a été fermée dans le public en 2016).

Pour mémoire, la publicité faite aux langues anciennes grâce à la mobilisation des professeurs de Lettres classiques avait fait augmenter le nombre d’élèves inscrits à la rentrée 2015 (presque 3 000 élèves latinistes en plus). Le grec ancien, dont beaucoup de nos politiques ne savent même plus qu’on l’enseigne toujours en collège, accusé de concerner peu d’élèves, de coûter trop cher, est pourtant en progression, comme ces dernières années (plus 1066 élèves dans le public). Voici la preuve que les discours des détracteurs des langues anciennes sonnent creux, et ont pour unique but de détruire des disciplines et de faire des économies au détriment des élèves. Les professeurs de Lettres classiques se sont battus pour conserver leurs sections de grec ancien, ou, plus rarement, ont pu en ouvrir une. Ils sont malheureusement peu soutenus par des chefs d’établissements qui sont souvent frileux (si ce n’est totalement opposés) à l’ouverture d’une langue ancienne qui ponctionne des moyens horaires, plus utiles ailleurs selon eux.

La ministre ignore complètement les conséquences de ses choix en matière d’éducation, qui se révèlent catastrophiques tant les collègues du secondaire sont épuisés. Elle croit qu’il suffit de dire pour faire, mais ne connaît rien aux réalités du terrain : sans moyens clairement fléchés et dédiés pour les langues anciennes, ces dernières sont toujours plus fragilisées. Or, ses services ont choisi de les financer sur une marge de fonctionnement, les reléguant ainsi bien loin derrière les dédoublements de classes nécessaires dans les disciplines de SVT ou de sciences-physiques par exemple. La ministre a continué d'entretenir l’illusion du maintien des horaires par la mise en place des pompeux ''Enseignements Pratiques Interdisciplinaires'' (EPI), dont celui de Langues et Cultures de l’Antiquité (LCA), qui ne comblent nullement le manque et font souvent apparaître la triste réalité de leur contenu lorsqu’ils ne sont pas assurés par un professeur de Lettres classiques, ce que les textes officiels permettent. Demande-t-on à des professeurs d’espagnol d’enseigner le chinois ?

Nous lançons donc un appel au Ministère de l’Éducation nationale pour qu’il reconsidère au plus vite la réforme du collège et prenne les mesures nécessaires pour la sauvegarde des langues anciennes :

- redonner au latin et au grec ancien le statut de disciplines, présentes dans les grilles réglementaires, accessibles à tous les élèves.

- donner des horaires clairement dédiés dans les dotations et ne plus faire du latin et du grec ancien des enseignements dépendant exclusivement de la marge horaire et du bon vouloir local.

- ouvrir le nombre de groupes nécessaires pour en dispenser l’enseignement à tous les élèves qui en font la demande, seul gage de démocratisation de ces enseignements, et cesser de trouver des moyens fortement discutables pour les en détourner.

- rétablir l’horaire de 2 heures de latin en 5e, puis, progressivement, des horaires de 3 heures en 4e et 3e pour le latin comme pour le grec. Les élèves ont besoin de temps pour s’imprégner d’une langue et d’une culture. 

La volonté politique détermine la qualité de la formation des élèves et l’égalité des chances. Les associations soussignées demandent instamment que soit promu l’apprentissage des langues anciennes, véritable ouverture à une formation linguistique, culturelle et humaniste qui s’adresse à tous les élèves, et en particulier à ceux qui n’ont que l’école de la République pour réussir. Elles demandent que le ministère ne perde pas de vue l’adjectif accolé à son nom, nationale, et que soit réévaluée l’offre de formation publique proposée aux territoires abandonnés actuellement, soit parce qu’ils sont en banlieue, soit parce qu’ils sont en zone rurale. Mettre réellement en œuvre une politique des langues anciennes pour tous, c’est enfin mieux penser une éducation pour tous.