Le regroupement des associations APLettres, APLAES, APFLA-PCL, CNARELA, SEL et SLL ont publié une tribune intitulée ''Sortir par le haut'', dans l'Humanité du 22 mars 2016. Vous trouverez ci-dessous le texte de cette tribune.
Sauver le latin et le grec ? Il s'agit avant tout de ne pas les laisser perdre : affaire de volonté politique. Or le ministère a fait retirer des grilles des matières enseignées les options de latin et de grec en pulvérisant ces disciplines pour créer un système bancal, sans obligation de mise en place dans les établissements : Enseignement pratique interdisciplinaire (EPI) de Langues et Cultures de l'Antiquité (LCA) et éventuellement quelques heures de cours ''de complément''. L'ensemble a été bétonné par un discours mensonger, prétendant que les langues anciennes étaient aujourd'hui réservées à une élite tandis que le nouveau système les ouvrirait à tous, et que les horaires actuels seraient conservés.
Privilèges, les langues anciennes ? 93% des collèges - dont les Zones d’Éducation Prioritaire - offrent aujourd’hui le latin et parfois aussi le grec ! La DEPP, service statistique du ministère, vient même de démontrer que l’étude du latin, loin d'être l'apanage d'une élite, participait à la réussite des élèves défavorisés, à la mixité sociale, et corrigeait les inégalités. Maintenus, les horaires ? Ils ont été sabrés pour la rentrée 2016 : 50% de moins en 5e et 30% en 4e et 3e, véritable insulte aux milieux populaires.
Une telle politique atteint son but : d’après les premiers sondages pour la rentrée, 93% des collèges voient baisser leurs horaires, 28% des sections de grec ferment ; l’EPI LCA occupe moins de 36 heures dans 66% des collèges et supprime une heure de français dans 44%, il est assuré par un professeur qui n’a jamais étudié le latin ni le grec dans 20% ; 50% des collèges n’ouvriront qu’un seul groupe en 5e même si beaucoup d’élèves désirent s’inscrire, 75% n’ouvrent pas d’EPI latin en 4e et en 3e , 98% n’ouvriront pas l’EPI axé sur le grec en 3e.
Le bilan est clair. Le grec est sacrifié alors que les effectifs d'hellénistes progressaient en collège et en lycée. Les horaires d'enseignement ne sont plus garantis, et cette précarité ruine les vertus linguistiques, culturelles et interdisciplinaires du latin et du grec. Les élèves sont perdants sur tous les tableaux.
Le futur statut des langues anciennes est l'image extrême de ce que va devenir le collège avec une réforme que la droite n’aurait pas mieux réussie : un endroit où les élèves, sur quatre années, auront reçu, toutes matières confondues, des centaines d’heures de cours de moins que leurs aînés, le tout dans un désordre profondément inégalitaire.
Le ministère a refusé les propositions de nos associations. Le Conseil Supérieur des Programmes a été contraint de regrouper les niveaux de 5 e et de 4 e tant l’horaire est amputé. Les horaires de lycée continuent de chuter, le recrutement des professeurs de lettres classiques a perdu son CAPES spécifique, les études universitaires et la qualité de la recherche française sont directement menacées de tarissement.
Sauver le latin et le grec, c’est protéger leur enseignement. Si l’on est de gauche, c’est favoriser les chances des plus démunis d’y accéder partout, pleinement, et non au rabais. Or cette réforme qui étouffe l’ambition n’accorde plus de confiance à ceux qui seront les citoyens de demain et infirme le rôle de l'éducation, « acte de foi dans la valeur de la personne humaine raisonnable et éducable » selon Jaurès. Pourquoi les élèves capables de suivre aujourd’hui des options exigeantes ne le seraient-ils plus à la rentrée 2016 ? À la différence du ministère, nous croyons dans le potentiel de chacun de nos élèves, et voulons, depuis des années, que les options de latin et de grec, ce surcroît de culture et de confrontation à d'autres mondes ou d'autres modes de pensée, soient accessibles à tous.