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Sans racines et sans ailes. La contre réforme du collège

Nous retranscrivons ici le texte d'une tribune de Pascal Charvet et Arnaud Zucker, que seul le JDD a fait paraitre (le 4 octobre 2015).

'A l’heure où l’OCDE publie sur l’école les résultats catastrophiques de l’expérience suédoise, qui applique depuis 1990 les principes qui ont inspiré le projet de la ministre, la réforme du collège est d’ores et déjà condamnée. Les 'exigences' agitées par les discours officiels comme un certificat de vertu républicaine (lutte contre les inégalités, renforcement des savoirs fondamentaux, adaptation à la diversité des élèves) sont en parfaite contradiction avec les mesures qu’introduit la réforme : les inégalités seront renforcées, les savoirs fondamentaux évaporés, la diversité éliminée.

Ni les classes bi-langues ni les classes européennes ni les enseignements de langues et cultures de l’antiquité, ni ceux de la découverte professionnelle ne seraient affectés par cette réforme, nous dit-on. Dans la vraie vie, ces enseignements innovants vont disparaître en 2016, happés par le grand bazar que sont les nouveaux Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) et Enseignements complémentaires, à la discrétion des chefs d’établissement et, pour l’EPI de Latin et de Grec, cantonné à la seule classe de 5ème.

L’école a toujours eu pour ambition d’éveiller tous les esprits et tous les talents, d’offrir de la diversité et de tendre vers le mieux pensant au lieu de se plier au moins disant. Niveler les formations, comme le fait la réforme, ne rendra pas meilleurs les élèves les plus en difficulté. L’égalité qui n’encourage pas chaque enfant à exprimer le meilleur de lui-même mais supprime pour ceux qui viennent des milieux les plus démunis la possibilité d’apprendre plus que le minimum, c’est l’égalité de la hache. Et parce que cette réforme esquive les causes profondes des inégalités et des ségrégations à l’école, elle va immanquablement les accroître.

La mise en place des nouveaux programmes de 'Langues et cultures de l’antiquité' au collège et au lycée s’était accompagnée en 2007 d’un manifeste qui témoignait des pratiques propres à ces disciplines : elles se sont radicalement renouvelées et sont aujourd’hui 'absolument modernes'. Tout en prétendant vouloir 'démocratiser' le latin, la réforme liquide la troisième langue étudiée au collège, et un enseignement culturel démocratique et même 'plébiscité'.

A force de s’interdisciplinariser (sic), les disciplines se noient. Si l’on ne distingue pas les couleurs, comment pourrait-on les combiner ? Là encore la réforme fait fausse route en imposant des hybridations qui ne peuvent remplacer la maîtrise des connaissances, et qui formalisent lourdement et de travers une pratique de l’enlacement des savoirs qui existe déjà depuis longtemps. Sous une forme flexible et pragmatique, les enseignants pratiquent déjà la transdisciplinarité, trouvant souvent dans le théâtre et les arts un catalyseur naturel, dans le numérique un medium stimulant et dans les sciences intégrées un croisement bénéfique.

Alors fallait-il réformer? Oui ! Mais ces mesures passent à côté des problèmes et ne réussissent qu’à dévaster le collège et à révolter la communauté éducative. C’est bien au nom d’une lutte efficace contre les inégalités qu’il faut rejeter cette réforme si pavlovienne dans ses principes et prévisible dans ses effets. S’il y a un malentendu, comme le clame la Ministre, il est entre elle et le réel. Loin de donner, comme elle dit en avoir l’ambition, des ailes aux enfants, sa réforme va les priver de racines'.

Pascal Charvet, Inspecteur général des Lettres honoraire et Arnaud Zucker, professeur des Universités.

Signataires : Pierre Encrenaz, président de Sciences à l’école, membre de l’Institut, Heinz Wismann, philologue et philosophe, EHESS, Pierre Judet de la Combe, Directeur d’études, EHESS, Michel Zink, professeur au Collège de France, Michael Edwards de l'Académie française, professeur honoraire au Collège de France Jean-Pierre Demailly, mathématicien, membre de l’Institut, Antoine Danchin, biologie moléculaire, cellulaire, et génomique, membre de l’Institut, Florence Dupont, professeur des Universités à Paris-VII, François Regnault, philosophe et dramaturge, Daniel Mesguich, metteur en scène, Yves Meyer, Sciences mécaniques et informatiques, membre de l'Institut, F. A. of the National Academy of Sciences (USA), Paul Demont, professeur des Universités à Paris Sorbonne, John Bulwer, Président d’Euroclassica, Monique Trédé, Professeur des universités à l’ENS ULM, Patrick Dandrey, professeur des Universités à Paris Sorbonne, Luc Fraisse, professeur des Universités à U. de Strasbourg, membre de l’Institut, Jean-François Cottier, professeur des Universités et directeur de l’enseignement en prison à Paris VII, Alexandre Grandazzi, professeur des Universités à Paris Sorbonne.