La version la plus récente du projet de réforme du collège enterre, malgré les protestations et en dépit du bon sens, l'enseignement du latin et du grec. Sans tenir compte des propositions et des discussions (voir le compte rendu de notre audience ou notre conférence de presse), Madame la Ministre persiste dans son projet, comme en témoignent aussi les nouveaux programmes proposés par le Conseil Supérieur des Programmes.
La Ministre a fait sensation le 13 avril au matin chez Jean-Jacques Bourdin sur RMC. 'Moi, ce qui me fascine depuis quelques jours [...] c'est à quel point on peut baigner dans la désinformation la plus complète'. Sortons donc du bain, essuyons-nous, et laissons-nous fasciner par l'information sèche.
'20% des élèves' (plus d'un demi-million) étudient le latin ou le grec au collège ? Ils seraient davantage si le ministère n'en limitait pas le nombre (par exemple, pour 40 élèves demandeurs, des rectorats n'ouvrent qu'un seul groupe de 25 places). 'Nous, on dit qu'on tient beaucoup au latin et au grec, qu'on a envie que ça concerne 100% des collégiens'. Le latin et le grec devraient, avec la réforme, se retrouver dans un enseignement pratique interdisciplinaire, un EPI, consacré aux 'langues et cultures de l’Antiquité' (LCA). 'Chaque établissement sur une palette de huit EPI aura l'obligation d'en faire au moins six'. L'information sèche dit donc que, dans chaque établissement, 25% des EPI ne seront pas assurés. Comment garantir que celui de LCA existera ? Dans combien de collèges ? 60% ? 50% ? '100% des collégiens', l'information est mathématiquement fascinante. La Ministre avance la perte d’effectifs d'élèves hellénistes et latinistes entre la 5 e et la Terminale, 'parce que c'est aride de prendre des heures en plus'. L'information sèche et aride, elle, en explicite les causes réelles, qui sont plutôt des heures en moins : malthusianisme du ministère, logiques comptables aveugles, concurrence organisée entre options en collège et en lycée, horaires dissuasifs. 'Je trouve ça ahurissant de devoir démentir en permanence des rumeurs alors qu’il suffit d’aller regarder le projet du ministère sur le site du ministère'. Allons donc regarder le site du Ministère.
Cinq versions s'y sont succédé du 11 mars au 10 avril.
La première (livret 'Mieux apprendre pour mieux réussir') mentionne le latin 'inclu(s) dans les EPI' 'dans les collèges qui proposaient l'option facultative latin'. Et les autres collèges ? Ils ne la proposeront pas ? '100% des collégiens' ? : l'information sèche est vraiment aride. Le mot 'grec' ne figure pas dans la réforme du collège : 'rumeurs' ?
Salve suivante le 17 mars, où le ministère présente aux syndicats les 'fiches collèges 1, 2, 3 – entrée en discussion'. Ni le latin ni le grec ne figurent dans la grille horaire (la liste des matières enseignées et des horaires correspondants, garantis nationalement, sous forme de tableau).'Désinformation' ?
Troisième mouture aux syndicats le 24 mars, version 2 (v2) des fiches. Le latin et le grec apparaissent dans la grille horaire sous forme d''enseignement de complément', mais les horaires, en baisse d'une heure par niveau, ne sont pas assurés (ils ne figurent pas dans le total horaire des niveaux de 5e, 4e, et 3e, dédié aux disciplines, à l'accompagnement, aux EPI). A qui les prendra-t- on ? Aux matières ? Aux dédoublements ? A l'accompagnement personnalisé des élèves ? 'La désinformation la plus complète' coule bien de la source ministérielle.
Quatrième version une semaine plus tard avec un projet d'arrêté présenté aux syndicats. Le latin et le grec ne sont plus dans la grille horaire (p. 6) ; on les devine au hasard d'une phrase dans l'article 7 du texte (p.3) ; les mots 'latin' et 'grec' ne sont plus prononcés, le texte parle d' 'enseignement de complément aux EPI' (mais qui ne fait pas partie des 'enseignements complémentaires', la nuance brute est de taille, et le singulier signale que l'élève ne peut plus étudier, comme cela est possible actuellement, latin et grec), 'port(ant) sur les langues et cultures de l'Antiquité', en baisse d'une heure sur les horaires actuels (à moins de poursuivre l'EPI LCA pendant 3 ans, ce qui est contradictoire avec le dispositif des 6 EPI obligatoires sur 3 ans). Cet 'enseignement de complément' consommerait 30 ou 60 % de la 'dotation pour effectifs réduits', soit les dédoublements. Qui peut croire une minute que les horaires pour dédoublements seront donnés aux langues anciennes – qui d'ailleurs ne les demandent pas, mais réclament leurs horaires spécifiques dédiés ? Information ? Brouillard de mots ? Brouillage des annonces ? La désinformation devient, au ministère, système de communication.
Cinquième version le 10 avril, adoptée par le Conseil de l'Éducation 4 : le latin et le grec comme disciplines à part entière sont absents des grilles horaires, noyés sous l'appellation 'Langues et cultures de l'Antiquité' dans un EPI qui n'est pas obligatoire, et toute mention d'un 'enseignement de complément' a disparu.
Enfin, dernière information sèche (bientôt 'rumeur' humide, sans doute : comment savoir ?) le 13 avril, validant l'analyse négative des professeurs : alors que 'les contenus des enseignements complémentaires sont établis en fonction des programmes définis pour chaque discipline d’enseignement 5', les projets de programmes qui viennent d’être dévoilés ne prévoient aucun programme pour l’enseignement du latin ou du grec, contrairement aux assurances données à nos associations en audience au ministère le 31 mars dernier. Un regard sec n'y trouve que des poussières, qui existent déjà dans les programmes de français actuels. Le latin et le grec sont réduits à 'l’étymologie'. Les 'programmes' d’EPI quant à eux tiennent sur une page et n’indiquent rien de précis. Un député parlait récemment de 'gloubiboulga', ce qui semble se confirmer.
La Ministre tue le latin et le grec comme langues, et comme cultures liées à la découverte des textes.
Comment en effet croire une minute ses propos : 'le latin et le grec ne disparaissent pas du collège, au contraire ils sont renforcés' ? Dès le début, les options ont été sacrifiées par la Ministre. Il ne s'agissait même pas de garder un simulacre d'option car les cours de latin et de grec devaient exister au travers des seuls EPI. La colère des enseignants a entraîné la parution précipitée, dans la deuxième version des grilles, des 'enseignements de complément' mais rien n'assure leur financement. Le ministère brouille volontairement les pistes mais finit par montrer involontairement, à force d'explications confuses que la Ministre elle-même maîtrise mal, que les enseignements de complément n'ont que peu de chances d'exister, d'autant plus qu'ils ne sont même pas présentés dans la dernière fiche horaire diffusée sur le site du ministère. Comment réussir une réforme ambitieuse en supprimant impunément des disciplines, le latin et le grec, qui ont tout à offrir aux élèves : meilleure maîtrise de la langue, connaissance du passé qui rayonne sur la littérature, l’histoire, les idées... ? Comment par ailleurs le ministère peut-il prétendre avoir 'fait du renforcement du français un fondamental' quand on sait que les futurs élèves de 6e et 3e auront une demi-heure d’étude de ce 'fondamental' en moins dans le projet, par rapport à ses horaires actuels ?
Les parents d’élèves doivent savoir maintenant ce qui attend leurs enfants.
Nous (APFLA-CPL, APL, APLAES, CNARELA, SEL, SLL) réclamons un véritable enseignement du français, sans lequel les autres disciplines ne peuvent faire comprendre et transmettre leurs contenus, nous voulons que les élèves puissent avoir un accès réel, avec des horaires fléchés, à des enseignements égalitaires de latin et de grec, définis par des programmes, au sein desquels l’étude de la langue ancienne et de ses textes apportera un regard plus riche sur les langues et les cultures françaises et européennes.