Pourquoi tant d'années de lutte autour des langues anciennes ? par Monique Trédé, présidente de SEL
On ne peut attendre d’un problème mal posé qu’il trouve des solutions satisfaisantes. Après plus de 45 ans de débat il est peut-être temps de se demander si le problème du latin et des langues anciennes a été bien posé.
Pour la droite qui se targue de tailler dans la dépense publique et de former les citoyens-managers de demain à 'l’esprit d’entreprise', le latin n’est même plus cette marque de distinction qu’elle semblait, hier encore, fière d’arborer à sa boutonnière. Le capitalisme financier ayant fini de se substituer au capitalisme industriel et à ses traditionnelles 'valeurs bourgeoises' (comme on disait il n’y a pas si longtemps encore), le marketing, les mathématiques financières et l’anglais d’aéroport, disciplines qui permettent de s’enrichir vite et bien, sont désormais les seules qui méritent de figurer aux programmes d’un enseignement public à peine toléré. L’idée que l’École puisse avoir d’autres missions que de former de futurs salariés semble définitivement écartée. Il n’effleure apparemment pas non plus les penseurs de cette droite qu’il n’est pas de recherche appliquée qui ne s’appuie sur une recherche, donc une culture, fondamentale. Ce qu’on a pourtant très bien compris, aujourd’hui, à Pékin comme à Singapour ou à Sao Paulo.
La gauche, qui s’est délestée ces derniers temps d’à peu près tout ce qui ne relevait pas de la 'customisation' rhétorique, s’accroche d’autant plus à ses vieilles antiennes – en particulier à feue l’'égalité des chances', dont on se demande ce qu’elle peut bien signifier au cœur d’une société toujours plus inégalitaire. Dans cette mystification, il suffit que le latin puisse apparaître comme le garant d’un enseignement efficace et structuré de l’apprentissage des langues, et qu’à ce titre certains parents y soient attachés, pour faire de cette discipline un bouc-émissaire commode. Dernier acte en date de ce combat truqué : la relégation, le mois dernier, du latin et du grec dans l’enfer des EPI (enseignement pratique interdisciplinaire). On ne fera plus désormais de latin en cours de latin, mais on demandera à des professeurs d’histoire ou de français d’évoquer un peu de culture latine – en clair, d’entretenir nos enfants de ce que leur apprenait, il y a quelques années encore, la lecture des aventures d’Astérix le Gaulois.
Nul n’empêchera ceux qui pensent encore que l’École a pour premier but la transmission du savoir et de la culture de chercher à inscrire leurs enfants dans les établissements qui privilégient les disciplines susceptibles, par leur rigueur et leur beauté, de nourrir de jeunes esprits – les mathématiques, le grec ou le latin, mais aussi, comme en un temps pas si reculé, l’allemand ou le russe (et pourquoi pas l’arabe et le chinois ?). Et si l’École de la République ne s’assigne plus pour but fondamental la transmission du savoir mais une vague socialisation ludique, un 'épanouissement' aussi fade que le week-end d’un pédagogue ou les animations d’une garderie , alors, sous prétexte de maintenir 'l’égalité des chances', elle fera les beaux jours de l’enseignement privé, et l’école à deux vitesses sera toute l’école.
La question du latin se réglera le jour où nos conseillers ministériels daigneront se demander quelles disciplines sont formatrices pour les citoyens de demain, plutôt que de maquiller pour les uns quelques économies sordides et pour les autres leurs renoncements tristes, en choix politiques. C’est l’aggiornamento auquel nous les invitons, en espérant qu’il est encore temps.
Texte publié également sur le site du magazine L'Express.
Vous pourrez trouver une revue de presse des différentes réactions de ces dernières semaines sur le site avenirlatingrec.fr.