Voici le texte des nouvelles primées lors de l'édition 2023 du Concours de nouvelles Jacqueline de Romilly. Bravo à toutes et à tous !
‘Des macchabées, ça disparaît tous les jours’ par Louis Rubellin, Lycée du Parc, Lyon (1er prix – Enseignement supérieur)
C’était tout ce qu’il pouvait se répéter, et il ressassait dans sa tête cette phrase comme pour s’en convaincre, sachant pourtant combien elle était invraisemblable, inacceptable. Et, comme si cette piètre défense ne l’accablait pas suffisamment, son supérieur venait d’être remplacé par un nouveau gradé, à qui il devait exposer l’affaire et dans l’antichambre duquel il patientait depuis maintenant plus d’une heure. L’homme ne s’était pas encore présenté aux troupes de la capitale, personne ne savait qui il était, quelles pouvaient être ses opinions ; mais nul doute que le chaos ambiant de cette dernière semaine, où l’avait propulsé le limogeage soudain de son prédécesseur, ne jouerait pas en faveur de notre soldat, préposé à la garde d’un mort.
Plus que jamais, Faustus se sentait ce pion qui, sur le plateau, pouvait être soufflé à tout moment – position de sursis dans un jeu qui le dépassait. Or il est peu de dire qu’il redoutait ce renvoi, qui signifierait à coup sûr un reniement définitif de la part d’une famille exigeante et habituée au meilleur. Devenir militaire, entrer dans l’armée de la plus grande puissance de l’Histoire, dont les œuvres éclipsaient les royaumes, les empires et tous les régimes passés, présents, et sans doute à venir (si tant est qu’il y eût après elle un avenir) avait été la dernière chance d’un jeune homme perdu, incapable de jamais faire preuve de sérieux dans son travail, et ce quoiqu’il ne manifestât aucune habileté remarquable au combat.
Impossible de se faire renvoyer, donc, mais impossible également de se justifier. Non seulement les quelques mots qui lui venaient étaient tout à fait absurdes, surréalistes même, mais en plus il avait failli. Les consignes, pourtant, étaient claires. Jusqu’à ce qu’il soit relevé, il ne devait ni bouger ni relâcher la garde de la porte d’une chambre mortuaire. C’était aussi simple que cela, c’était loin d’être la mission la plus dure à remplir pour Faustus, qui avait déjà été de garde une semaine durant à la porte Nord de la ville, là où c’est le plus pénible. Enfin, de tels raisonnements n’avaient plus de sens aujourd’hui puisque c’était Ariel tout entière qui semblait agitée, quels que fussent la porte, le quartier, la rue, la maisonnée. Peut-être était-ce dû à l’écrasante chaleur de ces derniers jours (cette chaleur qui l’oppressait encore dans cette pièce où il patientait depuis si longtemps), cette chaleur peut-être responsable de cette faillite à son devoir. Car après tout, quelle autre explication logique à ce soudain évanouissement ? Il avait bien dormi la nuit précédente, n’ayant heureusement pas été réquisitionné pour encadrer le tumulte qui sourdait dans les collines et qui avait fini par s’étendre au centre-ville. Mais enfin ! Qu’avait-il donc pu arriver pour qu’il sombrât dans une léthargie pareille ? Il n’y avait, du reste, rien de fatiguant à garder une porte derrière laquelle, de plus, reposait un mort. Un mort ! Je t’en donnerai, moi, des morts, soupira-t-il à part lui. D’autant plus que ce mort-là, selon Faustus, ne méritait aucunement qu’on surveillât son cadavre, mais bien plutôt qu’on le brûlât. Les meneurs de contestation, on les surveillait quand ils étaient vivants. Pas après qu’ils avaient succombé au supplice qu’on avait pu leur infliger. D’ailleurs, nulle raison ne justifiait la garde de ce cadavre. Ceux que l’on avait exécutés à ses côtés pourrissaient probablement, à l’heure qu’il était, dans une fosse commune, sous les mouches et le soleil de plomb. Mais il avait fallu qu’un imbécile décidât de porter la dépouille dans un lieu à part, ce qu’on avait accepté à condition que ledit lieu fût gardé nuit et jour pour éviter que l’endroit ne devînt un nouveau cœur de la contestation – sinon un lieu de recueillement. Soit, cela se tenait.
Toute cette démonstration n’avait donc servi qu’à revenir au point de départ, à cet axiome absurde qui voulait que les macchabées disparussent tous les jours. En même temps, était-ce si fou ? Au vu des événements des derniers jours, pas tant que ça. Il fallait bien reconnaître que tout avait un parfum d’irréel, et le séisme qui, l’avant-veille, avait fait trembler les murs des plus imposants bâtiments de la ville, y était probablement pour quelque chose. En fait, il y avait tant à gérer que Faustus se convainquait progressivement que son supérieur ne serait non seulement pas d’humeur à entendre son récit, mais qu’en plus il n’en n’aurait rien à faire. Qu’était-ce donc que la disparition d’un corps quand plus de cent autres s’étaient fait la malle deux jours plus tôt ? Qu’est-ce qui empêchait Faustus de prendre la fuite immédiatement, ce qu’avait lucidement fait celui avec qui il devait garder la salle mortuaire ? Rien, sinon un sens du devoir qui, en d’autres moments, l’eût honoré. Et c’était ce sens du devoir qui le forçait à rester planté là, attendant toujours que la porte massive qui fermait le bureau de son capitaine ne s’ouvrît.
Et toujours au cœur cette angoisse de ne pas savoir qui était ce capitaine. Pour une remarque malheureuse, son prédécesseur avait été renvoyé sans ménagement par l’administrateur d’Ariel. Il faut dire que, après l’avoir négligée, ce dernier semblait prendre cette affaire à cœur : écoutant les conseils des autorités parallèles (dont Faustus se serait volontiers débarrassé), il avait posté ces deux gardes devant la tombe du meneur des rebelles, pour une durée possiblement renouvelable de trois jours. Faustus avait détesté se sentir l’employé de ces petits potentats locaux qui, eux, semblaient se faire une joie de commander aux deux soldats.
Autant de pensées qui n’amélioraient pas sa situation. Impossible d’expliquer la disparition de ce corps. Il se repassait en boucle les dernières heures et ne trouvait aucune justification plausible, convenable. À vrai dire, il était si désemparé qu’il n’avait même pas eu la force de retenir les illuminées venues adorer le corps sans vie, désobéissant ainsi aux instructions. De toute manière, ces femmes-là avaient dû être déçues puisque le constat fait était rigoureusement et malheureusement le même : sans raison, le corps avait disparu.
Faustus en était là du flux de ses angoisses quand le serviteur du capitaine lui indiqua qu’il allait être reçu. Au moment d’entrer dans le bureau, le jeune soldat se dit qu’on n’avait sans doute pas fini d’en entendre parler, de ce Jésus.
‘Un cœur de pierre’ par Sofia Ben Naceur-Beaud, Lycée Thiers, Marseille (2e prix – Enseignement supérieur)
Je sentais encore ses mains ardentes sur ma peau. La pression qu’il eut exercée avait laissé des traces roses autour de mes poignets endoloris. Prise de spasmes, je peinais à respirer. De chaudes larmes coulaient à flots sur mes joues et arrosaient le sol du temple. Je n’avais pas attendu qu'il se fût évaporé pour prier à voix basse le secours de ma déesse. Mes pleurs et mes hurlements résonnaient, à présent, entre ces murs. Je m'époumonais, j’exprimais ma souffrance, mon impuissance, mon injustice. Je n’étais plus maîtresse de mon corps, possédé par un autre, rendu inerte par l'immobilisation et la pénétration. J’avais observé cette scène, comme sortie de moi-même. Mon sang s’égouttait sur le marbre blanc, dilué dans mes larmes.
Une voix féminine tonna tandis qu’une silhouette se dessinait dans une lumière resplendissante :
« Neptune, puisses-tu être puni pour cet outrage ! »
Minerve se manifestait enfin, sous sa forme humaine : une sublime femme brune aux yeux gris. Elle s'était parée d'une longue toge blanche et portait une lance, un casque et un bouclier à l'effigie d’une chouette. Je me prosternai et demandai en étouffant un sanglot :
« Je t'en supplie, venge cette injustice !
- Tu as brisé ton vœu de chasteté, tu as profané ce temple et tu m’as offensée en t'accouplant avec mon rival. Et tu seras punie pour cet affront. »
Je m'assis sur mes talons et croisai son regard sévère. Mes larmes, séchées par l'apparition divine, s’écoulèrent de nouveau tandis que, baissant la tête, je bafouillai :
« Mais, ma déesse, c’est… c’est…
- Arrête donc. Je n’ai pas de temps à perdre avec une fausse dévote de ton genre. Je dois tout d’abord te trouver une punition infâme.
- Vous souhaitez me punir, m'indignai-je, alors que le seul coupable, c’est Neptune !
- Voyons, tu t’es donnée à lui, dit-elle en soufflant et en levant les yeux au ciel.
- C’est faux ! J’ai… c’est – c’est lui… il s’est jeté sur moi… et c’est – c’est là qu’il…
- Qu’il t’a déviergée. Je sais. »
Je me mis, non sans mal, debout sur mes deux jambes tremblantes. Elles avaient du mal à me soutenir après cet acte inexcusable et devant le courroux de la divinité. Même sous sa forme humaine, Minerve me dépassait. Levant mon visage vers le sien, je lui criai sous l’émotion :
« Vous savez ! Vous savez ! Eh bien, si vous savez, pourquoi m’incriminer ? Pourquoi faire porter la faute sur moi, qui n’ai rien pu faire si ce n’est pleurer et prier pour que cela cesse.
- Très exactement, tu n’as rien fait. Tu as laissé Neptune, mon rival, prendre ta virginité dans mon temple. »
La voix de la fille de Jupiter gronda et raisonna dans tout le bâtiment. Elle m’oppressait, comme le corps du dieu pressé contre moi m’opprimait plus tôt. Mes pleurs redoublèrent tandis que j’objectai d’une voix se voulant forte et articulée :
« Je n’ai pas brisé mon vœu de chasteté !
- Tu l’as fait.
- Pas volontairement ! C’est Neptune qui– c’est lui le seul responsable !
- On ne peut pas dire que tu ne te sois vraiment défendue…
- Comment résister à un dieu ? Comment le non étouffé d’une humaine peut-il persuader le roi de l'eau et des océans, Neptune, de cesser son affront ? Je n’arrive même pas à me faire entendre par ma déesse à qui j’ai cependant dévoué corps et âme ! »
Nos regards se croisèrent : le mien implorant la pitié et le sien, d’une froideur inflexible. Elle reprit d’une voix calme et posée, sans aucune once d’empathie :
« Méduse, si tu ne leur dis même pas clairement non et ne te débats pas…
- Je tremblais, je gémissais et je suppliais, la coupai-je. Comment ne pas voir que je ne désirais pas cette union ?
- Les dieux ont des besoins. Tu aurais dû faire attention.
- C’est à moi de faire attention ? Je suis la victime, cependant, c’est moi que l’on accuse et punit. Les hommes, si on leur avait appris à respecter la volonté de la moitié de l’humanité, sauraient contrôler leurs pulsions. Les dieux doivent se rendre compte que nous autres, femmes, humaines, nous ne sommes pas des objets de leurs désirs et qu’ils ne peuvent pas disposer de nous à leur gré. Ô Minerve, déesse de la sagesse, vous êtes une femme, vous pouvez comprendre cela ! Vos propres frères vous ont déjà poursuivie même si vous souhaitez demeurer une déesse vierge. Vulcain, par exemple ! N’êtes-vous pas lasse de ce monde régi par des dieux et des hommes ? »
Face à mon discours, la déesse resta de marbre. Je continuai mon plaidoyer :
« Ma déesse, pourquoi ne pas voir que, quoique l’on fasse, ce sont toujours les femmes qui sont calomniées pour les fautes des hommes ou des dieux ! Le courroux de Junon ne s'abat-il pas toujours sur les maîtresses, souvent non consentantes, de Jupiter ? Vulcain, a-t-il demandé son accord à Vénus quand il exigea sa main ? Tous les mythes et toutes les histoires que l’on nous raconte ne sont celles que l’instrumentalisation ou la possession de la femme par les dieux ou lesdits héros ! Nous, pauvres femmes, nous ne sommes que l’objet de leur désir qu’ils acquièrent de force, ou un tremplin pour atteindre leur objectif ! Le destin des femmes est dicté par les hommes. Pensez à la pauvre Proserpine enlevée par Pluton. Si même nous, nous ne restons pas soudées, comment espérer se défendre face aux dieux ?
- Il suffit. J’en ai assez entendu.
- Ma déesse, tentai-je.
- Je vais en finir maintenant.
- Je vous en supplie, ma déesse. N’est-ce pas assez d’avoir été… violentée ? J’ai été poursuivie par Neptune, j’ai cru trouver une protection dans ce temple auprès de ma chère déesse. Cela ne l’a pas arrêté. Vous n’avez même pas écouté mes prières, vous n’êtes pas intervenue. Et à présent, vous souhaitez me punir. Vous m’accusez d’avoir souillé ce lieu sacré ? Qu’est-ce qui atteste que c’est moi la seule responsable dans cette histoire ?
- Tu aurais dû te couvrir et repousser fermement ses avances dès le début. Tu lui as fait croire qu’il avait une chance.
- Mais non ! Je... je ne vois pas en quoi ma tenue et mon attitude fuyante seraient une invitation. Je ne saisis pas la raison de… Il semble que mon seul péché soit d’être séduisante.
- Voyons, tu l’as invité à te suivre ici ! Et vous vous êtes accouplés sous mon autel.
- J’AI ÉTÉ VIOLÉE ! hurlai-je. »
Mon cri retentit dans tout le temple. J’avais réussi à le nommer. L'écho me fit prendre conscience de ce qui m'était réellement arrivé, comme si une autre personne me le confirmait. Ces mots avaient absorbé toute mon énergie restante, je m’écroulai au sol et en larmes. À genoux devant Minerve, dont l’insensibilité semblait avoir été ébranlée, je poursuivis dans un murmure presque inaudible :
« Ô Minerve, aie pitié de ta fidèle. Vous, qui vous êtes pourtant opposée maintes et maintes fois à Neptune, ne concentrez pas votre colère sur sa victime. »
Les sanglots me prenaient de l'intérieur et semblaient vouloir sortir. Mais, je sentis bientôt autre chose bouger dans mon ventre.
« Tu es enceinte, proclama-t-elle.
- Quoi !? C’est impossible ! Je… »
Je levai mes yeux vers Minerve, son visage s’était fermé de nouveau. Je descendis mon regard sur mon ventre et y posai doucement ma main. Un coup me fut rendu. Je faillis m’évanouir. Je courus et vomis dans une jarre.
« Je ne peux pas laisser ces monstres sortir, déclara-t-elle. »
Je me retournai, toujours au sol. Celle-ci s’avança lentement vers moi. Son ombre emprisonnait à présent mon corps frêle à ses pieds.
« Enlevez-les-moi, la suppliai-je.
- Je ne peux pas faire ça.
- Pourquoi ? Ce ne sont pas mes enfants ! Je n’en veux pas. Je ne suis même pas encore une femme. Comment un enfant pourrait-il en éduquer un autre ? Comment pourrais-je mettre au monde et élever les fils de mon violeur ?
- Je ne peux pas les anéantir.
- Ce ne sont encore que des fœtus ! Sauvez-moi la vie ! Je vous en supplie ! Protéger cette pauvre enfant à vos genoux !
- Non.
- Je vous en supplie ! Je les sens déjà se développer en moi et je n'ai qu’une envie : me trancher la gorge pour les faire sortir. »
Elle m’examina d’un œil sévère tandis que je hoquetais.
« Prépare-toi pour ton châtiment, proclama-t-elle. »
Mes hurlements et mes pleurs n’y purent rien. Elle me pointa du doigt et proféra :
« Méduse, je te condamne pour avoir profané mon temple et brisé ton vœu de chasteté. Toi qui fus toujours adorée pour ta beauté, tu ne pourras plus charmer les hommes avec ta jolie chevelure. Est-ce que tu sens tes cheveux se transformer ? Entends-tu le sifflement ? Les sens-tu se dresser ? Passe ta main dans ta douce chevelure, tu ne sentiras que des écailles lisses et froides ! Voilà, tu révèles ta vraie nature : un monstre. Tes beaux yeux clairs ont souvent fait chavirer le cœur des hommes. Maintenant, tu ne pourrais plus croiser le regard d’un être sans qu’il soit changé en pierre. Aussi, tu ne pourrais pas enfanter. Ces deux êtres restent en toi jusqu’à ta mort. »
Au fur et à mesure qu’elle prononçait sa sentence, je sentais mon corps muer. Je pliais sous le poids de ses paroles et la douleur de la métamorphose. De nouveau dépossédée de ma chair et de ma volonté, fixant le sol froid et humide, je murmurai :
« Et le vrai coupable reste impuni.
- Comme toujours, c’est moi que l’on fait passer pour la méchante, souffla-t-elle.
- Vous avez institué la justice, mais n’êtes même pas capable de l’appliquer. »
Je secouai la tête en riant, les larmes aux yeux. Soudain, la porte du temple s’ouvrit et deux silhouettes apparurent dans la lumière du jour.
« Méduse ! appelèrent deux voix féminines.
- Nous savons qu’un homme t’a pris ta virginité, expliqua la plus jeune. Ne te cache pas de nous. Ce stupide vœu de chasteté importe peu.
- Ne vous approchez pas ! criai-je en fermant douloureusement les yeux.
- Euryale et Sthéno ! s’exclama Minerve. Quelle surprise ! Voici tes sœurs ! »
Les pas ralentirent puis s’arrêtèrent. J’entendis soudain des cris. Je ne pus m'empêcher d'ouvrir les yeux. Je pensais qu’elles avaient eu peur de mon aspect monstrueux. Mais je découvris avec horreur qu’elles avaient été aussi transformées. Elles avaient des ailes dorées et des serpents à la place des cheveux. Des défenses de sangliers avaient poussé sur leur doux visage. J’étais sous le choc, totalement paralysée. Aucun son, prière ou supplication, n’arrivait à sortir de ma bouche. Je ne pus qu’attraper la toge de Minerve. Cette dernière expliqua :
- J’ai pensé que ne te laisser aucune compagnie était trop cruel. Voyons, je t’ai fait des faveurs : tu ne seras plus jamais violée, je protège aussi tes très chères sœurs de ce terrible sort et tu n’auras pas à élever les enfants de ton agresseur. Alors, accorde un peu plus de reconnaissance à ta chère déesse. »
Des siècles passèrent, dans une solitude presque complète et une immense haine. Je détestais mon corps qui n’était plus le mien, dépossédé par un dieu, transformé par une déesse, jouet de la société divine. Je détestais le monde humain qui m’entourait et qui m'attaquait régulièrement pour de stupides quêtes dans le but d’affirmer leurs valeurs masculines. Je détestai les enfants de Neptune qui se développaient et m’oppressaient de l'intérieur comme pour me rappeler constamment l’intrusion de leur père. Quelle formule absurde que ‘porter la vie’ quand le jour où ces êtres furent conçus signifiait ma mort !
Je passais des heures à regarder mon reflet dans l’eau en espérant que mon pouvoir marcherait enfin sur moi. Puisque ma mort était nécessaire pour retirer ce qui grandissait en moi, j’attendais mon trépas avec impatience. Seulement, mes sœurs mettaient, elles, toute leur force pour me garder en vie.
Un jour, Persée m’attaqua quand les deux gorgones dormaient. Il m’observait par le reflet de son bouclier en bronze. Je vis qu’il allait résolument me trancher la tête.
Je devais réfléchir, faire quelque chose. Mais quoi ? J’avais espéré ce moment. La mort serait une libération. Je fermai les yeux, tendis mes mains et offris mon cou à cet homme. Je choisis de faire confiance à sa lame. Je ne sentis rien, pas la moindre douleur, juste de la chaleur. Jamais je n'aurais imaginé que la mort puisse être si douce.
‘TITANOMACHIE : chapitre 2’ par Auguste Lassère, Lycée Camille Jullian, Bordeaux (1er prix ex-aequo – Enseignement secondaire)
Cela fait des semaines que ça dure : il ne mange plus, ne vit plus, ne tempête plus, ne court plus le guilledou : Zeus est prostré, muet, passif et Héra, d’habitude indifférente, commence à s’inquiéter : qu’arrive-t-il au père des dieux ? Elle ne l’a jamais vu aussi amorphe, lui qui remue les cieux et la terre grecque de toute son énergie et de tous ses caprices… Elle l’a même entendu murmurer dans sa barbe : « Je vais prendre ma retraite… comme les humains, je ne suis bon à rien, je ne vaux rien, je suis devenu une loque, je perds mes cheveux, les poils de ma barbe, je n’ai plus la force de me mettre en colère, mes yeux ne me servent plus, je ne m’intéresse plus à rien ni à personne, aucun berger, aucune bergère… ». Héra a sursauté : Zeus est en pleine dépression !
Elle voit tout de suite les conséquences : plus d’arbitrage entre les dieux, un monde désorganisé. Que deviendront la terre et les hommes ? Elle doit demander conseil. À qui ? La sage Athéna, la fille préférée de Zeus qui détient toute l’intelligence du monde par sa mère, Métis, et sa force par son père, celle qui a su combattre contre les Géants venus à l’assauts de l’Olympe ? Si elle a sauvé Zeus une fois, elle doit pouvoir le sauver encore, et de lui-même cette fois-ci.
Athéna réfléchit avant de lancer : « Eureka ! La bonne chère ! Tous les hommes y sont sensibles : les dieux comme les mortels ! Les occasions ne manquent pas d’organiser un festin et de flatter son estomac.
- Héra intervient : Excellente idée, demandons conseil à Dionysos… c’est son domaine
- Ah non, tranche Athéna, Dionysos est un sauvage, un type pas très net, toujours entre deux vins et un mangeur de viande crue. On raconte qu’il ne fait pas de différence entre viande animale et viande humaine. Tout lui est bon ! Il ne mange pas, il baffre, il bouffe… et ces Ménades qui l’entourent sont des folles furieuses avec leurs cris et leurs danses échevelées ; Avec Dionysos, pas moyen de dîner tranquille et de déguster en paix mets et ambroisie ! Il faudrait quelqu’un de plus civilisé, de plus raffiné comme Amphitryon dont il a apprécié l’hospitalité…
- C’est surtout sa femme, Alcmène, qui lui a fait de l’effet ! Mon mari, le roi des dieux, séduit à tout va… évitons les festins et leurs dérapages.
- Une rencontre sportive alors ? Des jeux pour le réveiller ? Il aime bien cela d’habitude… Il suit tous les exploits des athlètes, les lutteurs, les lanceurs, les auriges…
- Oui, s’exclame Héra, envoyons le se frotter contre Héraclès, celui que mes serpents n’ont pas pu étouffer. Pour le secouer, cela le secouera !
- Impensable, jette Athéna, cela pourrait dégénérer, Héraclès ne mesure pas sa force !
- Qu’il affronte Arès alors ! Arès est de la race des vaincus, celui qui provoque rires et moqueries. C’est sans risque pour Zeus.
- Mais sans intérêt! Courir en défiant Hermès serait spectacle plus noble !
- Perdu d’avance : Hermès est le dieu aux sandales et à la chevelure ailées… Le but est de ranimer Zeus, pas de l’humilier ! Organisons lui plutôt une course de chars : Zeus adore la vitesse !
- Il ne voudra pas rivaliser avec Apollon, le plus beau de ses fils, invincible avec son char solaire.
- Et une partie de tir à l’arc ? Artémis serait partante, elle qui ne quitte ni ses flèches ni son carquois… Mais une simple partie de chasse serait-elle assez stimulante ? Voudra-t-il se lever ? Sortir ? Pas certain dans son état actuel. Il est tellement prostré !
- Bien sûr, commente Athéna rêveuse, je peux aussi défier mon père aux échecs… Il est assez roublard pour y trouver du plaisir.
Héra secoue la tête : « Zeus a trop l’habitude de tricher et tu n’y verrais que du feu ! Cela pourrait l’amuser une heure ou deux, pas plus. Son état nécessite un vrai choc ! Connaissant mon mari comme je le connais de toute éternité, ce qui peut le réveiller plus sûrement, c’est un joli minois inconnu, une vierge bien gardée dont la conquête difficile l’obligerait à imaginer une de ces ruses dont il a le secret !
- Je suis fatiguée de toutes ces coucheries, de ces histoires familiales à n’en plus finir. J’ai déjà une ribambelle de demi-frères et de demi-sœurs ! Jalousies et embrouilles assurées ! Zeus lui-même n’est-t-il pas épuisé par toutes les contorsions qu’il s’inflige pour approcher d’autres femmes que toi, divine Héra : tantôt taureau blanc, tantôt aigle ou autre animal fabuleux… N’hésitant même pas à prendre l’apparence de sa propre fille Artémis pour s’introduire dans l’intimité de la belle Callisto ! Quelle famille ! Parfois j’en ai honte…
- Zeus me sait jalouse ! Il essaie de ruser et de cacher ses écarts de conduite en métamorphosant ensuite ses conquêtes en victimes : la pauvre Callisto est devenu une ourse et Io, une génisse… Comme si je ne voyais pas ce qu’il trame ! Avant et après ses exploits !
- Nous faisons fausse route, alors ! Repérer, traquer, séduire, c’est de la routine pour mon père. Il faut imaginer un remède plus puissant à l’apathie qui l’accable ; quelque chose qui le pique au vif ; solliciter non ses sens mais son orgueil, lui montrer sa souveraineté divine en danger. Provoquer la colère de Zeus : qu’il brandisse sa foudre... !
- Héra se fait songeuse : oui, lui désigner un rival à sa mesure, pas dans le domaine des amours où il triomphe toujours, dans la direction des mortels et des dieux… Une sorte de rival politique ! J’en connais un, Jupiter qui ne perd pas son temps à courir les jupons mais impose à tous crainte et soumission.
- Jupiter ! Athéna se frappe la tête : c’est une idée géniale, un combat des chefs ! Comment faire ?
Je vais consulter Junon ; c’est une vieille copine, pleine de sagesse. Elle sait comment manœuvrer son mari. Mais je ne sais pas si elle acceptera de marcher dans notre combine. Elle a un sacré caractère !
- Le tien n’est pas triste non plus ! Que veux-tu au juste ? Ecraser Jupiter pour un triomphe de Zeus ? Cela risque de provoquer une guerre entre Grecs et Romains. Souviens-toi des guerres médiques entre les perses et les grecs.
- Je ne veux pas aller jusqu’à une solution aussi radicale. Juste un affrontement entre deux orgueils, entre deux chevaux de race… Je ne veux pas forcément que Zeus l’emporte mais qu’il réagisse, que récupérions un Roi du Ciel sûr de lui, actif, se mêlant de tout, Zeus, quoi ! Je vais expédier Hermès auprès de Junon avec la mission de lui faire envoyer un message méprisant du style : « il n’y a pas la place pour deux volontés suprêmes dans les Cieux. Les mortels ne savent plus à quels dieux se vouer et l’univers ne tourne plus rond… Range tes dieux romains et soumets toi à mon autorité… Sinon… »
- Sinon quoi, Héra ?
- Je n’en sais rien. On verra. C’est juste un chiffon rouge que je veux secouer sous le nez de Zeus ! Mais je vais demander à Junon de ne surtout pas déléguer Venus pour cette intervention : Zeus ne verrait que Vénus et pas le chiffon rouge ! Si nous réussissons, Zeus deviendra fou furieux… et bien vivant enfin !
- Un choc qui va déclencher des forces inconnues… J’ai peur, Héra, des suites de notre complot …
- Toi, Athéna, avoir peur ! Impossible… Tu es la plus forte de nous tous !
- Je suis aussi, murmure Athéna, la plus sensée et je commence à douter sérieusement de notre entreprise. »
Hermès parti avec des instructions précises, Athéna s’inquiète au fil des jours, en proie à des pressentiments néfastes : Défier Jupiter, même quand on est Zeus, c’est se jeter dans l’inconnu le plus total…
À son retour, Hermès est sombre ; Comme prévu, Jupiter s’est déchainé : « Quelle mouche a piqué Zeus ? Son hubris le submerge… Zeus n’est qu’un orgueilleux, un tyran indigne ! Moi, Jupiter, son second ? Ridicule, impensable. Ah ! Il veut la guerre ! on va voir ! Il va l’avoir, cet imprudent ! »
Et Jupiter laisse libérer sa foudre : les cieux s’assombrissent, la terre tremble, les rivières débordent, l’océan gronde. C’est un vacarme tel que toute la Grèce est bousculée, Zeus lui-même s’alarme. Le plan d’Héra fonctionne puisque Zeus tempête à son tour contre cet avorton latin qui ose lui tenir tête… Fureur, chaos, boucan gigantesque. Zeus est bel et bien réveillé, sorti de son apathie ; mais un autre l’est aussi, atteint jusqu’au Tartare : Kronos sort de sa prison infernale, en grondant terriblement ; « Je vais finir mon travail : Je vais manger ce Zeus que Rhéa a sauvé en me trompant avec une pierre entourée d’un lange… » Il rit et son rire est farouche. Revenu à l’air libre, Kronos reprend son festin divin : Il avale Zeus et en suivant, tous les dieux de l’Olympe…
Et, pour faire bonne mesure, sans même se déplacer, encore en appétit il avale Jupiter et tous les dieux romains. Les dieux ont disparus, les cieux sont vides. Kronos triomphe. C’est lui le maître du monde ; qu’on se le dise : le Temps dévore dieux et mortels en les précipitant dans l’oubli.
Moralité, nul ne peut échapper au Temps. Le Temps règle tous les problèmes d’une manière ou d’une autre. Il guérit les états d’âme, il offre des solutions, il impose, il tranche. Il suffit de laisser le sable s’écouler.
‘Prémonition’ par Mathilde Bonnardot, Puy du Fou Académie (1er prix ex-aequo – Enseignement secondaire)
« Père, père !!! »
Un éclair de boucles brunes passa en flèche dans le grand couloir du palais de Thèbes. Le petit ouragan se déplaçait avec une rapidité surprenante de salle en salle. Doué de parole, il répétait avec indignation : « Père, père !!! J’en ai assez !»
Œdipe semblait pensif, il allait encore devoir régler ce problème de sénateurs… Les mains derrière le dos, il marchait de long en large devant sa table de travail, sa carrure athlétique voutée comme sous l’effet d’une charge trop importante ; les muscles de son visage, crispés, laissaient entrevoir une infime parcelle de l’activité cérébrale à laquelle il se livrait. Ses sourcils s’étaient froncés sous l’effort mais malgré cette attitude d’intense concentration, le roi de Thèbes resplendissait de jeunesse et de vigueur. Son front où s’égayaient quelques mèches d’un brun presque noir, était ceint d’un diadème d’or ouvragé de motifs grecs. Sa peau que les longues chevauchées sous le soleil du pays avaient dorée, était rehaussée par la blancheur de sa tunique. On ne voyait qu’honnêteté et intelligence dans son regard d’un vert profond. Le rejeton des Labdacides était la fierté de sa ville tant aimée et à elle tout dévoué. Seules ses chevilles lui portaient préjudice : jamais il ne pouvait marcher longtemps et encore moins courir sans souffrir horriblement …
Soudain, il fut tiré de ses pensées par la petite tornade qui arrivait droit sur lui en criant :
« Ah père vous voilà enfin ! Vous allez pouvoir punir cet insolent que voilà et … »
Devant ces paroles tempétueuses, Œdipe fut d’abord interloqué puis une lueur d’amusement passa dans ses yeux. Ce petit éclair n’était autre qu’une adorable fillette de cinq ou six ans, à peine plus haute que son bureau. Son joli minois aurait attendri les guerriers les plus endurcis, mais à cet instant il avait pris la couleur des tentures pourpres de la pièce. Rouge de colère et d’avoir tant couru, les mains sur les hanches, bien campée sur ses deux jambes, elle regardait son père avec une mine outrée des plus attachantes.
« Antigone ! répondit-il, combien de fois t’ai-je dit de ne pas entrer ici quand je travaille sans en avoir l’autorisation ! ».
A ces mots, il ne put s’empêcher de repenser avec tendresse et nostalgie à son enfance au palais de son père Polybe… Cette phrase qu’il répétait à son tour, combien de fois l’avait-il entendue…, elle lui ressemblait tant sa petite fille : vive, impétueuse mais pourvue d’un grand courage. Quel sera son avenir ? Seul Zeus devait savoir… Un jeune garçon un peu plus âgé qu’Antigone, les cheveux de jais devant les yeux, arriva tout essoufflé en se tenant les côtes. Cette dernière s’écria alors, le pointant d’un doigt accusateur :
« Ah voilà ce traitre qui … » elle n’eut pas le temps de finir sa phrase car son père la coupa avec un ton sévère :
« Polynice ! Antigone ! voulez-vous m’expliquer ce que cela signifie ? »
« Ce n’est pas moi qui…enfin c’est elle qui… » tenta Polynice.
« Père ! Polynice ne m’a pas secourue alors que l’horrible chien de Pélopidas allait me dévorer ! Il s’est enfui comme un lâche et m’a laissée seule. Il mérite une bonne correction ! »
Elle avait dit ces phrases avec l’autorité d’un chef de guerre réprimandant un soldat et Œdipe se vit contraint de mettre un terme à cette nouvelle tyrannie.
« C’est moi qui déciderai si Polynice doit être puni, jeune fille ! en attendant, je vais vous raconter une histoire pour que vous compreniez quelque chose d’important et cessiez de vous battre. La guerre détruit les familles et l’amour fraternel est sacré. »
Une histoire !!! et contée par leur père ! les deux enfants étaient aux nues, cela était si rare.
« Cher papa merci, merci, merci !!! » répétait Antigone un grand sourire aux lèvres, semblant déjà avoir oublié sa querelle. Quant à Polynice, il regardait son père avec une admiration béate ! Il était en cet instant aussi grand que les immenses statues de ses dieux préférés siégeant fièrement dans l’Acropole. Il savait si bien raconter, faire vivre les personnages et les paysages ! Avec lui, ils voyageaient dans un monde sans frontières peuplé de nymphes, de héros et d’exploits, au rythme de sa voix chaude et enveloppante. Œdipe était heureux de faire plaisir à ses enfants, il les voyait si peu… C’était sa façon de les éduquer et de les préparer au rôle qui serait bientôt le leur. Cela allait arriver si vite qu’il ne voulait pas perdre le bonheur de les voir encore s’ébattre avec insouciance dans les joies de l’enfance. Ses problèmes attendraient ! Il saisit avec douceur les petits doigts des êtres qui faisaient toute sa fierté et les mena sur la grande terrasse. De là-haut, on pouvait contempler la cité illuminée et l’immensité du ciel d’où commençaient à poindre des myriades d’étoiles. Quelque part au sud devaient briller Orion et la Pléiade… Les derniers rayons du soleil embrasaient le ciel de leurs feux éclairant dans un dernier soupir les arcades sculptées de la grande balustrade. Les enfants accoudés contemplaient la ville étalée à leurs pieds : « Leur ville ». Ils allaient bientôt devoir en assurer la défense et le gouvernement, cette ville qu’ils allaient devoir aimer jusqu’au bout comme l’un des plus beaux bijoux de la Grèce. Qu’allait-il advenir de la belle cité jadis fondée par Cadmos ? Berceau des Spartoi, grande région de la Béotie, quel sera ton destin ? Là-haut sur l’Olympe seul Zeus devait savoir… Ainsi songeait Œdipe en faisant assoir Antigone et Polynice sur une méridienne chamarrée : l’histoire pouvait commencer…
« Il y a des lunes de cela » commença-t-il, « Atlas venait de recevoir la Terre sur ses épaules. Prométhée avait donné aux hommes le feu sacré, leur permettant de bâtir, de construire, d’inventer et de créer tels que les dieux. Un jour, il advint qu’Inachos, fondateur et roi de la cité d’Argos décida de faire donner une fête en l’honneur des dieux : il invita toutes les divinités et plusieurs rois d’autres contrées. Le souverain de notre ville, Cadmos, et sa fille la princesse Agavé s’y rendirent. Zeus et Héra arrivèrent les premiers, resplendissants dans un char orné d’épis d’or. Arès tout flamboyant et portant ses armes se présenta ensuite, devisant avec son frère Héphaïstos de ses nombreuses victoires. On attendit les nymphes des forêts plus longtemps mais elles finirent par arriver, superbement parées, suivies des muses et d’Apollon resplendissant. Athéna, enfin, fit l’honneur d’être présente accompagnée par Artémis et Hermès chaussé de ses sandales ailées. Tous plus ou moins heureux de se voir faisaient l’effort de se montrer affables : « Comment vous portez vous mon cher frère ? Votre tenue est merveilleusement foudroyante » ; « Et bien, cher père, comment va notre mère, pas de nouvelle colère à propos de vos conquêtes ? ». On avait gracieusement laissé Hadès à ses enfers et Poséidon dans la mer et l’on n’espérait plus personne. Cependant… Avez-vous deviné, mes enfants, qu’il manquait quelqu’un à ces réjouissances ? Quelqu’un qui préfère être admiré plutôt qu’oublié… »
« La belle déesse ! s’écrièrent en cœur Polynice et Antigone. »
« Oui ! répondit leur père, Aphrodite la déesse de l’amour, la plus belle femme au monde… après votre mère bien sûr ! Et vous vous en doutez, à cet instant elle se trouvait dans une colère noire des plus effrayantes : « Comment ont-ils pu m’oublier ! Quelle insolence ! Moi qui suis toujours la première invitée sur les listes ! ils ont omis d’inscrire mon nom ! Ah la belle impertinence ! Ils me le paieront ! Ils verront ce que c’est que de me provoquer. » Sur ces mots pleins de rage elle jura de punir Inachos et de ternir sa réputation auprès des dieux. Le pauvre maître de maison ignorait tout des projets de la déesse et personne ne s’était aperçu qu’elle était absente. La fête ponctuée de danse et de chant se déroulait à merveille dans son vaste palais. L’atmosphère s’était à peu près détendue et un sourire ornait tous les visages. Du sarcastique au coincé, du détendu au forcé, chacun se laissait prendre au jeu. Le banquet touchant à sa fin, les invités s’étaient rassemblés dans la cour pour jouir de la vue céleste de la lune. Soudain Inachos remarqua l’une des jeunes filles couronnées de fleurs dansant dans la pâle lueur vespérale. Qui était-elle ? Ne pouvant détacher son regard de cette belle vision, il tentait de se raisonner. « Tu t’égares mon pauvre ! Le vin t’aura monté à la tête… » Mais plus il tentait de ne plus y penser, plus une idée insensée s’imposait à lui… « Je ne peux faire cela ! Je trahirais mes amis et les lois de l’hospitalité si chères aux dieux ». Pourtant, vous avez deviné : il le fit, poussé par une personne qui se faisait une joie de lui porter préjudice ! Se glissant dans les jardins alors que la jeune fille buvait à une fontaine, aidé par l’un de ses gardes, il l’enleva et l’enferma dans une pièce secrète de son palais. On chercha partout la princesse mais en vain…Cadmos éploré allait et venait, désespéré. Inachos n’était plus lui-même et feignait d’être très affecté lui aussi. Les invités se séparèrent, on n’avait pu hélas demander à Apollon d’exercer son don de divination, il se trouvait déjà au pays des rêves sous l’effet du jus béni de la treille dont il avait sans doute quelque peu abusé. Cadmos en rentrant à Thèbes fit venir son fils Phoronée près de lui en lui faisant promettre de retrouver sa sœur. Ce dernier se trouvait devant un dilemme embarrassant…
Œdipe se tourna vers ses enfants totalement captivés : « Vous n’êtes pas trop fatigués ? Je peux m’arrêter si je vous ennuie… ». « S’il te plaît papa, continue !!! » s’exclamèrent-ils. « Bon et bien si vous y tenez tellement…, Phoronée, en plus d’être studieux (ce sur quoi vous devriez prendre exemple), tirait merveilleusement à l’arc. Le lendemain de l’enlèvement de sa jeune sœur, il était convié à un concours de tir regroupant les meilleurs archers du pays. Il s’y préparait depuis très longtemps et comptait bien s’illustrer en gagnant ! C’était la chance de sa vie. Qu’auriez-vous fait à sa place ? »
« J’aurais secouru ma sœur car c’est un devoir plus grand de sauver sa famille » répondit Antigone.
« Et moi, dit Polynice, j’aurais été gagner le concours pour inscrire mon nom dans la lignée des héros. »
« Ah le traitre qui ne vient pas en aide à sa sœur ! s’écria Antigone. Pour être un héros, il faut d’abord respecter son sang » asséna-t-elle.
« Antigone a raison, Phoronée choisit de sauver son honneur en même temps que sa sœur. Prenant son arc, il chevaucha toute la nuit afin d’arriver chez Inachos au lever du jour. « Pour retrouver ma sœur il faut que je parte de l’endroit où elle fut enlevée, je demanderai des renseignements au maître de maison » se dit-il. Il fit le tour de la demeure et rentra par les jardins. Soudain le vent lui apporta quelques bribes d’une chanson douce et triste. « Qui chante ainsi ? » se questionna le jeune homme. S’approchant d’une fenêtre, quelle ne fut pas sa surprise d’apercevoir la silhouette de sa sœur dans l’embrasure. Aussitôt, ajustant une flèche il entra dans le palais et blessa tous les gardes postés devant la chambre d’Agavé. Sa sœur se jeta à son cou en pleurant de joie. Inachos puni par les dieux fut transformé en Fleuve. Quant à Phoronée, Zeus lui fit don d’une intelligence bien supérieure aux autres hommes, il inventa les tribunaux et régna avec droiture. Voilà mes amours, mon histoire est terminée…Souvenez-vous que l’honneur, le devoir et l’amour doivent toujours régner entre vous. Le lien du sang est sacré et honte à celui qui le déshonore… »
Se taisant, il eut juste le temps de recueillir comme un trésor les dernières paroles de ses enfants avant qu’ils ne s’endorment blottis l’un contre l’autre : « Je te protègerai toujours petite sœur… » « Je t’honorerai toujours grand frère, jusqu’à ta mort et bien au-delà… »
Quel sera leur avenir ? Se demanda Œdipe en les embrassant avec tendresse. Seul Zeus devait savoir. Et là-haut, tout là-haut, sur l’Olympe, Zeus savait…