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Audience au Ministère (15/11/17)

Les associations littéraires APFLA-CPL, APLAES, APLettres, CNARELA, SEL et SLL, représentées respectivement par Mme Chrystelle Barbillon, Mme Anne Sinha, Mme Hélène Solnica, M. François Martin, Mme Monique Trédé et Mme Estelle Manceau, ont été reçues le 15 novembre 2017 par M. Pierre Mathiot, chargé de mission sur la réforme du lycée et du baccalauréat par le ministre de l’Éducation nationale. Étaient présents à ses côtés Mme Christine Szymankiewicz (IGAENR), M. Stéphane Kesler (IGAENR), Mme Souâd Ayada (IG, doyenne du groupe de philosophie), M. Johan Yebbou (IG, doyen du groupe des mathématiques) et le chef adjoint du bureau des formations générales et technologiques (DGESCO).

Principales propositions :

Enseignement du français :

- Rétablissement d’un horaire de français décent au lycée : ajout d’une heure hebdomadaire en classe de Seconde et de Première, soit un horaire porté à 5h pour les élèves. 

- Renforcement des horaires en Première et Terminale pour les spécialités littéraires.

- Revalorisation des cursus littéraires, dont les débouchés se sont considérablement élargis, par la réforme des filières.

- Accord sur la réduction du nombre d’exercices différents proposés à l’écrit de l’épreuve anticipée de français au baccalauréat, afin de les recentrer sur la dissertation et le commentaire de texte littéraire.

Enseignement du latin et du grec ancien :

- Horaires fléchés pour le latin et le grec, dont le respect serait garanti dans tous les établissements.

- Ouverture de l’apprentissage des langues anciennes à tous les élèves qui en font la demande, dans les séries générales comme dans les séries technologiques.

- Établissement d’un module de culture antique, indépendant des enseignements de langues anciennes actuels, en classes de Première et Terminale, obligatoire en série L et ouvert à tous les élèves des autres spécialités (séries générales et technologiques).

Nous remercions Pierre Mathiot d’avoir invité, dès l’annonce de la mission, nos associations professionnelles qui représentent un très grand nombre de collègues du secondaire et du supérieur. Notre dernière audience commune a eu lieu au mois de juin à l’Élysée et nous avons toujours demandé à être associés aux discussions sur une future réforme du lycée.

Pierre Mathiot précise ensuite le cadre dans lequel il mène sa mission. Il ressort que le projet du gouvernement se résume, pour le moment, à la volonté présidentielle de ramener les épreuves écrites du baccalauréat au nombre de quatre en classe de Terminale, et de mieux prendre en compte le contrôle continu pour des disciplines qui ne seraient pas évaluées dans le cadre de ces quatre épreuves. La consultation se fait dans un esprit d’ouverture et de pragmatisme ; aucune commande particulière n’a été faite et les décisions ne sont pas encore prises dans la mesure où la phase de consultation vient de s’ouvrir. Nous sommes donc invités à faire part de nos questions, remarques et propositions. 

L’échange permet de noter un souci de prise en compte de la réalité du terrain, de la « faisabilité » des choix qui seront faits, et de ne pas nier la maîtrise très insuffisante de la langue française de la plupart des bacheliers et l’état très inquiétant de la filière Lettres.

Nous proposons d’aborder en premier lieu l’enseignement du français, puis celui du latin et du grec ancien.

I. Enseignement du français

Nous rappelons d’abord les horaires actuels des classes de lycée et nous demandons avec insistance que le français retrouve une place fondamentale dans la scolarité des lycéens. Le français ne saurait être réservé au seul parcours dit « littéraire ». À cette fin, un horaire de 5h en classe de Seconde, toutes séries confondues, ainsi qu’en classe de Première, nous semble un minimum à l’heure où nous nous accordons tous sur l’absence de maîtrise de la langue à l’issue de l’enseignement secondaire et supérieur. La spécialité littéraire impliquerait que l’horaire de français soit doublé en Première et renforcé en Terminale, si l'on veut former pleinement des élèves « spécialistes ».

Le français est utilisé dans toutes les disciplines et un élève qui ne maîtrise pas sa langue se retrouve donc partout en difficulté. Nous demandons que l’on renonce à l’idée saugrenue que l’enseignement du français pourrait voir son horaire disciplinaire réduit sous prétexte qu’il est abordé - plus ou moins - dans chaque discipline. Certains collègues ont abandonné le combat devant les difficultés qui touchent de plus en plus d’élèves. Les consignes parfois données aux correcteurs du baccalauréat ne permettent pas non plus d’en finir avec la négligence généralisée quant à la qualité de l’expression écrite des candidats. Nous demandons que soit redonné aux professeurs de Lettres classiques et de Lettres modernes, spécialistes qui ont reçu la formation universitaire nécessaire pour enseigner le français, un horaire décent pour enseigner. Il faut également du temps aux élèves pour maîtriser avec plus d’assurance leur langue.

Nous déplorons le fait que l’université et les grandes écoles, quelle que soit leur spécialité, exigent de plus en plus souvent de leurs étudiants la « certification Voltaire » et mettent en place de coûteux modules de « remédiation » en langue française. La question de la maîtrise de la parole, et donc de l’oral, est tout aussi essentielle, comme le prouvent les difficultés rencontrées par des adultes qui doivent s’exprimer en public. Il conviendrait d’articuler cette réflexion sur une réforme du bac à celle qui concerne les pré-requis à l’université. 

Nous rappelons que la réforme du collège n’a pas pris en compte la question de l’augmentation de l’horaire accordé au français ; au contraire, pour des raisons purement budgétaires qui sont un frein à toute conception quelque peu intelligente d’une réforme, elle a réduit l’horaire en classe de 6e comme en classe de 3e d’une demi-heure, alors que ces classes constituent des « charnières » entre l’école primaire et le collège, le collège et le lycée. Bien que la mission porte sur le lycée et le bac, la question de la maîtrise de la grammaire, entre autres, à l’école primaire et au collège, et celle des liens entre le collège et le lycée, ne peuvent être mises de côté. Promettre aux élèves une réussite dans n’importe quelle filière sans maîtriser correctement la langue, c’est leur mentir. Certains feignent de s’étonner du taux d’échec en première année de licence mais refusent de s’interroger sur ce qui n’est plus fait au lycée depuis longtemps. La réforme Châtel de 2011 n’a rien arrangé (orientation par défaut, fuite des bons élèves littéraires vers un bac S réputé plus formateur avant l’orientation en hypokhâgne, ignorance de la richesse des débouchés) ; elle a même fait de la filière littéraire une filière totalement sinistrée, alors qu’elle prétendait la sauver. 

La pénurie d’étudiants en Lettres et leur formation plus que déficiente causent, sur ce point, de fortes inquiétudes. Elle rend difficile - voire impossible - le maintien à moyen terme d’une recherche de haut niveau en France dans le secteur littéraire.

Il ne faudra pas oublier que, moins l’institution joue un rôle prescripteur, plus le niveau baisse. Par conséquent, on ne saurait amoindrir les exigences en série littéraire ni laisser cette série se fondre dans un menu à vaste choix.

Les enseignements de série L doivent au contraire, pour garantir son excellence et son attractivité, être définis et groupés sans compromis, avec une place faite aux Humanités. Comme le bac est lui-même prescripteur du niveau et des contenus de l’enseignement, les épreuves doivent être à la hauteur de ces ambitions, si l’on veut réellement permettre aux élèves français de maîtriser à nouveau leur langue.

Pierre Mathiot sait qu’un travail est nécessaire sur la question des débouchés. Une proposition verra sans doute le jour pour que les élèves bénéficient dès la Seconde d’un accompagnement pour définir leur projet professionnel, dans le cadre du parcours avenir. Le français et les filières littéraires y occuperont une place importante. Il évoque ensuite la possibilité de « colorer », dès la Première, et encore plus en Terminale, le parcours vers lequel les élèves se dirigent. 

Nous faisons part ensuite de la surcharge de travail qui est celle des élèves et des professeurs en Première, où il faut, en 4h par semaine, préparer, d’une part, à une épreuve orale, avec un nombre important de lectures analytiques préparées en classe, et, d’autre part, à une épreuve écrite, dans laquelle quatre exercices sont proposés : la question de corpus qui est imposée, et l’exercice au choix (écrit d’invention, commentaire littéraire ou dissertation). Nous souhaitons vivement que l’épreuve anticipée de français soit maintenue mais nous demandons qu’une réflexion, associant pleinement les professeurs de terrain, dans le cadre d’une consultation large, ouverte et précise, soit entreprise.

Sur ce point, nos interlocuteurs nous assurent que la réflexion reste ouverte en ce qui concerne le calendrier, la nature des épreuves, leurs modalités et leurs contenus (session 2020 ?). Il s’agirait en fait de préparer moins, mais mieux. Il faut dans ce cas peut-être s’en tenir pour l’écrit à la dissertation et au commentaire de texte littéraire, soit un écrit plus exigeant qu’il ne l’est actuellement, et supprimer l’écriture d’invention dont les défauts sont bien connus. Le français est une compétence fondamentale pour le supérieur. Pierre Mathiot souhaite dépasser la dimension de série pour parler de spécialisation, avec des volumes horaires repensés et augmentés ; ainsi, on peut envisager une spécialisation mathématiques/lettres, une autre lettres/langues, une lettres/arts. Par ailleurs, les spécialisations scientifiques seraient renforcées pour éviter que s’y trouvent de « faux » scientifiques et inciter ceux-ci à se tourner vers les spécialisations de lettres et sciences humaines.

À notre question de savoir si les quatre épreuves vont être totalement à la carte, Pierre Mathiot nous assure que des parcours divers seront proposés. Il apporte une précision en nous demandant si nous serions « choqués » à l’évocation d’un baccalauréat fait de deux épreuves de spécialité, et de deux épreuves « universelles ». L’une des épreuves universelles pourrait être la philosophie, l’autre, un grand oral un peu solennel, qui placerait l’élève face à un jury d’au moins trois personnes, dont l’une pourrait être issue du monde de l’entreprise ou de l’université. Connecté aux disciplines, ou à la culture générale, cet oral solennel d’au moins 30 minutes qui tiendrait, par exemple, du colloquio italien (dont le jury est constitué de sept membres et dure 1h), serait marqué par une forte exigence concernant « l’éloquence ». Cela pourrait peut-être prendre la place des TPE. Les autres disciplines seraient évaluées sous forme de contrôle continu. 

Nous soulignons le risque de noyer la langue française dans un oral fourre-tout dont nous voyons mal les contours. Nous alertons également sur la question de la « faisabilité », dont il a été fait mention au début de l’audience. Nous tenons par ailleurs à rappeler une opposition de principe sur le contrôle continu, car cette pratique reviendrait à faire fluctuer la valeur du baccalauréat en fonction de l’établissement qui prépare et délivre le diplôme, ce qui l’empêchera d’être un titre national. Nous attirons également l’attention sur les difficultés qui sont rencontrées par nos collègues de langues vivantes, qui évaluent déjà les candidats au bac en contrôle continu.

Pierre Mathiot reconnaît que le but n’est pas de surcharger les professeurs ni de transformer l’année de terminale en contrôle permanent, dérive connue aujourd’hui pour les langues vivantes. La Doyenne de l’inspection générale de philosophie soumet une hypothèse : un grand oral dans lequel le français serait particulièrement mis en avant, si les professeurs de français acceptent l’idée d’un écrit en 1re, réellement revalorisé, et renoncent à l’oral actuel en 1re. Nous restons très perplexes sur cette éventualité et redemandons que les professeurs de terrain soient consultés. 

L’exigence en français ne peut plus attendre. Un bilan des épreuves actuelles est nécessaire et toute évolution doit être largement acceptée par les acteurs qui devront la mettre en place, sous peine de nouvel échec.

II. Enseignement du latin et du grec ancien.

Nous rappelons les conditions souvent déplorables dans lesquelles se déroulent les enseignements de latin et de grec ancien au lycée aujourd’hui : horaires officiels non respectés, regroupements de niveaux inacceptables, emplois du temps médiocres. La CNARELA a encore voté des motions à ce sujet récemment. 

Dans la réforme Châtel, les enseignements d’exploration ont été présentés comme une chance pour ce qui a été appelé les « Langues et Culture de l’Antiquité ». Or, la théorie et la pratique se sont révélées bien éloignées. En effet, alors que les programmes des enseignements optionnels de latin, de grec ancien et de l’enseignement d’exploration LCA sont différents, une écrasante majorité d’établissements, faute de moyens, a regroupé l’enseignement d’exploration et l’option.

Nous redemandons une fois encore qu’on en finisse avec la dispersion ; il faut donner le temps nécessaire aux élèves pour apprendre. Les enseignements optionnels de latin et de grec ancien doivent bénéficier d’horaires fléchés, seule condition qui leur permettra une existence réelle dans l’enseignement public. La fuite vers le privé, qui conserve souvent un grand nombre d’options, comme cela a été le cas avec la réforme du collège, doit être endiguée. Le latin et le grec ancien doivent être accessibles aux séries générales et aux séries technologiques, ces dernières en étant privées depuis la réforme Châtel. Ces enseignements optionnels doivent conserver leur niveau horaire actuel (3h) et bénéficier du coefficient 3 comme cela est le cas aujourd’hui. L’écrit de spécialité littéraire doit rester dans les dominantes de cette filière, mais sans doute être repensé. Une réflexion sur de nouveaux programmes devra également être engagée. 

La CNARELA a pris position lors de sa dernière assemblée générale sur une proposition de module de culture antique, indépendant des enseignements de langues anciennes actuels, en Première et en Terminale, assuré par les professeurs de Lettres classiques, sur le modèle de ce qui existe déjà dans les CPGE. Ce module serait obligatoire pour les séries littéraires, mais ouvert également à toutes les autres séries de façon facultative pour toucher le plus grand nombre d’élèves possible et en finir avec l’argument éculé de l’élitisme des langues anciennes, qui sont fortement développées dans les réseaux d’éducation prioritaire. 

Nous affirmons que le lycée doit pouvoir jouer son rôle de jalon entre le collège et l’université : on constate une déperdition des effectifs entre le collège et l’entrée dans le supérieur. Nombreux sont les étudiants qui, n’ayant pratiqué les langues anciennes qu’au collège, sont amenés à choisir le latin et le grec ancien en « grands débutants » dans leur poursuite d’études. Cela fragilise encore les filières littéraires du supérieur. Le rétablissement d’un véritable CAPES de Lettres classiques, s’inscrivant dans le cadre d’une revalorisation globale des filières littéraires du collège au supérieur, nous semble fondamental. 

Pierre Mathiot nous fait observer que le coefficient attractif a soulevé bien des débats, mais nous rappelons que cet outil n’a fait que permettre la survie des langues anciennes, et qu’il pourra être repensé seulement lorsque leur enseignement aura lui-même été restauré, que leur valeur formatrice et citoyenne sera réinvestie. À cet égard, nous évoquons encore le formidable levier que représentent les langues anciennes pour l’apprentissage de la grammaire et la compréhension de la langue et de la culture françaises. Au vu de tout ce qui a été dit sur la maîtrise de la langue, il paraît évident qu’un apport conséquent des langues anciennes serait salvateur. 

Johan Yebbou, Doyen de l’IG du groupe des mathématiques, attire notre attention sur le décalage qui peut se produire dans le total des coefficients entre les dominantes de la série S et les matières « littéraires » avec le latin et/ou le grec.

Nous faisons remarquer que la note obtenue en latin et/ou en grec n’a pas une influence particulière sur les résultats du bac, même si, dans des cas qui restent très rares, des élèves obtiennent un résultat supérieur à 20 avec les points supplémentaires des options. Toutes les options sont concernées, on ne peut pas se focaliser sur le latin et le grec ancien. Dans le cadre d’un nouveau baccalauréat, les dominantes de l’examen terminal pourraient bénéficier d’un coefficient très fort ou éventuellement prévoir une note seuil pour obtenir une mention. 

Nous remercions nos interlocuteurs d’avoir porté une attention réelle à nos échanges.