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SEL a vingt ans

Le mot de la secrétaire générale, Sabine Schneider, à l'occasion du vingtième anniversaire de l'association (mars 2012).

Mes amis,

S.E.L. cette année a vingt ans : il me semble que c’est peut-être le moment de s’arrêter un instant et de regarder ce que nous sommes. Depuis plus de dix ans, je m’occupe du traitement du courrier de votre association et chaque fois que je me retrouve face à un énorme tas de courrier à traiter, me viennent les mêmes réflexions. Tout d’abord je pense à nos deux divinités tutélaires, deux vieilles dames exemplaires de courage, d’énergie et de détermination : Jacqueline de Romilly évidemment, à laquelle vous avez montré votre attachement fidèle par tous ces petits mots que vous m’avez adressés dans vos courriers, quand vous avez reçu le très beau texte d’hommage de Paul Demont, et aussi Christiane Picard, qui nous a quittés il y a quatre ans maintenant : je n’oublie pas non plus l’incomparable amie avec qui pendant plus de dix ans, tout en collant des milliers d’enveloppes pour S.E.L., j’ai partagé des moments rares de complicité, profitant de sa sagesse aussi.

Mais ce courrier, c’est à vous, chers adhérents, qu’il me relie. Alors je voudrais aujourd’hui, vous parler aussi un peu de vous. Finalement, qui êtes-vous ? Car c’est votre portrait qui à chaque nouvel envoi, pour moi, se dessine.

Tout d’abord, il y a les fidèles d’entre les fidèles : ceux qui depuis vingt ans, — déjà — répondent présent à notre appel : je connais par cœur leur adresse, pas besoin de consulter leur fiche. Et puis il y a les distraits qui oublient de signer leur chèque, et puis aussi les grands distraits, qui oublient carrément le chèque ! Il y a les discrets, ceux qui n’oublient rien, et sont terriblement efficaces : c’est leur courrier que je reçois dans les premiers, un bulletin d’adhésion rempli d’une toute petite écriture, qui s’excuserait de prendre plus de place, fine mais très lisible et régulière. Il y a les sévères, qui corrigent impitoyablement : « boîte postale » avec un accent circonflexe ! Je leur demande humblement pardon de mon étourderie. Il y a les professionnels : bulletin d’adhésion sans bavure, nom, prénom, adresse figurent imprimés par un tampon, clair, net, précis. Les rigoureux aussi : ceux qui me font remarquer leur changement d’adresse : avec eux, comme la vie devient facile ! Et puis les exubérants, dont la large écriture envahit d’arabesques toute la surface du papier, les originaux, qui écrivent en violet, les étourdis, qui, dans l ‘adresse, ne renseignent que le nom de la rue, ou que la ville, mais jamais les deux en même temps ! Et puis les élégants, dont l’écriture régulière court avec légèreté au long des lignes, et aussi les raffinés : ceux-là écrivent sur des enveloppes de couleur douce, bleu ciel, jaune clair, ou gris. Et puis les écologistes, toujours sur papier recyclé, avec une enveloppe de récupération pour les plus déterminés ; les généreux, dont l’engagement se lit dans des timbres pour la Croix rouge, les Médecins du monde, l’Unicef, et d’autres grandes causes. D’autres enfin sont timides, qui choisissent de petites enveloppes, d’autres philatélistes, prennent soin de coller un joli timbre.

Mais si vos bulletins affirment bien des caractères, c’est votre âge aussi que je lis dans vos prénoms : Simone ou Pierre ont bien mon âge, tandis que Marion et Arthur sont la jeune génération, notre avenir. Et c’est aussi tout un portrait de la France qui transparaît à travers vos adresses, et qui est aussi votre image. La France qui affirme ses valeurs d’abord : vous êtes nombreux à résider avenue de la République, une république qui n’oublie pas ses temps difficiles, le général Patton, ou Pershing, hommage à la Libération, Foch ou Clémenceau, et le général de Gaulle évidemment. Et puis ses grands hommes : Jean Jaurès, Émile Zola, et Victor Hugo bien sûr. À travers vous, c’est la France rurale aussi, que je parcours en imagination, celle qui habite rue des deux Ormeaux, de la Chataigneraie, ou l’enclos des Tilleurs, ou la rue des Marronniers. C’est tout un jardin de soleil que j’imagine quand vous habitez les allées des tamaris, des magnolias, des mimosas, ou, plus à l’intérieur des terres, la maison de l’amandier. Mais d’autres adhérents habitent des contrées plus rudes, tout en haut de la montagne, et s’abritent au haut du four du Paysaa ; d’autres me convient à un tour de France plus paisible, qui dorment à l’abri du couvent des Cordeliers, ou près du Moulin vert, de la vieille fontaine. C’est toute la France du grand Meaulnes qui renaît à travers vos adresses campagnardes. Ou bien c’est un souvenir d’enfance qui revient à ma mémoire, impression proustienne, lorsque j’écris à l’un d’entre vous, quai de l’Odet. D’autres aussi habitent la grande ville, passage d’Enfer ou rue du Dragon. Parfois, dans la mégapole, ils habitent la même rue. Mais alors ces adhérents se connaissent peut-être. Peut-être ont-ils adhéré ensemble il y a longtemps, et peut-être reçoivent-ils ensemble nos courriers ? Peut-être même en parlent-ils ? Ou bien sont-ils comme une armée des ombres, à défendre la même cause, sans savoir que d’autres ont uni leurs forces avec eux dans le plus grand mystère. Et mon imagination s’emballe. C’est presque un début de roman. Ces deux - là aussi, qui ont même patronyme, sont-ce des frères, des cousins, qui parlent de S.E.L .au téléphone, et que disent-ils, aïe, aïe, aïe, que nous ne faisons pas ceci, que nous devrions faire plutôt cela, peut-être. Mais Paul Demont et Emmanuèle Blanc le savent bien, c’est si difficile… On se surprend à rêver, à inventer toute une histoire dont vous êtes les personnages à la fois proches et lointains…

Et puis surtout, à vous suivre ainsi dans ce tour de France virtuel et amusant, ce que je découvre au détour d’un courrier, et qui est le plus important, c’est votre infinie gentillesse, qui s’exprime dans une petite phrase de soutien, un salut bien cordial, un encouragement à continuer le combat, quand nous pensons que tout va mal. Ce sont deux mots chaleureux écrits à la va vite sur un coin de feuille, ou une lettre pleine d’émotion qui rappelle un souvenir personnel lié à Jacqueline de Romilly, bref le sentiment que tous, à défendre les mêmes valeurs, la même cause, nous sommes un peu de la même famille. Et c’est tout cela qui m’engage à continuer, encore et toujours. Pour toute cette générosité, cette gentillesse, je vous dis merci, et bon anniversaire.