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Conférence

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L'Orient hellénisé : l'Afghanistan, P. Bernard

Assemblée générale de S.E.L., 2006

On arrête généralement l’Orient hellénisé à la frontière de l’empire romano-byzantin, c’est-à-dire à la Mésopotamie, en ajoutant éventuellement un lointain appendice gréco-bouddhique dans l’Inde du Nord-Ouest. Les vastes régions qui s’étendent à l’Est entre ces deux pôles furent pourtant le siège, durant les trois derniers siècles avant notre ère, d’un puissant état grec, qui, se scindant avec le temps en plusieurs royaumes, s’étendit de la vallée de l’Oxus à celle de l’Indus, englobant même la partie la plus orientale du plateau iranien. Il y a quatre-vingts ans des archéologues français, sur la foi de quelques textes classiques qui en conservaient le souvenir, s’étaient lancés à la redécouverte de ces colonies fondées par Alexandre et ses successeurs séleucides dans ce qui est aujourd’hui l’Afghanistan et le Pakistan. Recherche vaine d’abord, mais qui leur fit découvrir les brillantes civilisations qui avaient précédé et suivi l’hégémonie grecque. Il y une quarantaine d’années maintenant que l’Afghanistan a commencé de répondre à cette quête en mettant sous nos yeux les témoignages matériels d’une civilisation de colons authentiquement grecque, qui s’est maintenue dans le cadre d’une organisation politique indépendante de la mort d’Alexandre en 323 jusqu’aux alentours de notre ère. Deux sites principaux sont à l’origine de cette redécouverte, Aï Khanoum dans le Nord du pays, en Bactriane, Kandahar dans le Sud. Un troisième, Bactres, l’antique capitale de la région, est en passe de révéler aux heureux fouilleurs d’aujourd’hui son passé grec qu’elle avait obstinément refusé de dévoiler à Alfred Foucher, le pionner de l’exploration archéologique en Afghanistan. Cette recherche a été longtemps desservie par la rareté des sources classiques sur l’histoire de la région, rareté qui s’explique moins par la disparition d’une grande partie de la littérature antique que par la conception que se faisaient les Anciens d’une histoire universelle centrée sur les puissances méditerranéennes, royaumes hellénistiques d’abord puis Rome, et dans laquelle les Grecs de Bactriane et de la vallée de l’Indus ne jouent un rôle que lorsque leur histoire recoupe celle des Séleucides (siège de Bactres par Antiochos III chez Polybe) ou des Parthes adversaires de Rome (parallèle entre Mithridate I et le roi gréco-bactrien Eucratide chez Trogue-Pompée). Les Grecs de l’Asie Centrale ont certainement eu leurs propres chroniques mais, trop marginales par rapport aux grands enjeux du monde méditerranéen et du Proche-Orient, elles étaient condamnées à ne pas laisser de trace: il est symptomatique que quelques-uns des renseignements les plus précieux que nous ayons sur eux nous viennent d’une histoire des Parthes écrite par un Grec de Babylonie, Apollodore d’Artémita. Une culture c’est d’abord une langue et c’est essentiellement des témoignages qui ont survécu de celle de ces colons grecs que je vous parlerai. Les trouvailles épigraphiques ont été rares sur les sites d’Afghanistan, mais celles que nous avons sont presque toutes d’un intérêt exceptionnel. Tout le monde connaît, grâce à la publication magistrale de L. Robert, l’inscription dite des maximes delphiques découverte à Aï Khanoum dans le mausolée funéraire de Kinéas, probablement le fondateur de la ville sur ordre de Séleucos I. Il s’agit d’une base qui portait à l’origine une stèle sur laquelle avait été copiée la série des quelque cent cinquante maximes gravées dans le sanctuaire d’Apollon à Delphes, qui constituaient le bréviaire de la sagesse grecque, et qui vont de l’inspiration la plus élevée (le gnothi seauton ou le mêden agan) aux recommandations les plus plus terre à terre( « prends une femme de ton rang », « sois le maître de ta femme »). La stèle proprement dite sur laquelle avait été gravée la suite des maximes avait disparu, mais la dernière d’entre elles, qui n’avait pu y trouver place, avait été reportée sur la partie droite de la base qui nous l’a ainsi conservée: cinq formules frappées en médailles définissaient les qualités-maîtresses que l’homme grec se doit de posséder aux différents âges de la vie : « Enfant, deviens bien élevé/, jeune homme, maître de toi/, homme mûr, juste/, vieillard, de bon conseil/, meurs sans affliction ». Cette copie des maximes delphiques avait été offerte à la cité par un visiteur nommé Cléarque qui avait commémoré sa consécration en deux distiques élégiaques gravés sur la partie gauche de la base : « Ces sages préceptes des hommes illustres du temps passé se trouvent consacrés dans Pythô la Sainte. C’est là-bas que Cléarque les a soigneusement copiés et il est venu les dresser, brillants au loin, dans le téménos de Kinéas ». Louis Robert a montré que ce personnage, disciple d’Aristote de son vivant et connu comme éditeur des maximes delphiques ainsi que pour l’intérêt qu’il portait aux religions orientales, avait les meilleures raisons du monde pour entreprendre, dans les premières années du III° siècle, ce long voyage d’enquête qui le mènerait jusque sur les bords de l’Oxus puis dans l’Inde des gymnosophistes. La trésorerie royale du palais d’Aï Khanoum nous a livré une trentaine d’inscriptions économiques écrites à l’encre sur des vases. Elles désignaient les produits qui y avaient été déposés ( encens, huile d’olive) et les monnaies, grecques ou indiennes, qui constituaient la caisse du palais ; elles nommaient les fonctionnaires affectés à la trésorerie, en particulier le dokimaste ou contrôleur des monnaies : les noms propres montrent l’association réelle mais limitée de fonctionnaires d’origine locale portant des noms iraniens typiques (comme Oxybazos, Oxyboakès, Aryandès, Oumanos), et travaillant sous la direction de Grecs (Callisthène, Cosme, Hermaios, Hippias, Molossos, Straton, Théophraste). Un troisième document découvert à Aï Khanoum nous éclaire sur la place de la culture grecque dans les milieux dirigeants de la société coloniale et sur les contacts intellectuels qu’elle maintenait avec le monde grec. Il s’agit des restes d’un papyrus philosophique écrit vers 250 av. n. è., et probablement apporté de l’Occident, qui contenait un dialogue philosophique relatif à la doctrine des Idées, peut-être le Peri Philosophias, œuvre perdue d’Aristote. Le papyrus s’était décomposé dans la couche des décombres qui l’avait recouvert, mais l’encre d’une partie du texte, déroulée à plat sur quatre colonnes, s’était décalcomaniée dans la terre fine de décomposition des briques crues dont étaient faits les murs environnants. C’est donc sur une motte de terre recomposée que les auteurs de la publication, Claude Rapin et Pierre Hadot, ont pu lire, inversées, les lignes d’Aristote. Ce manuscrit était conservé avec d’autres, que l’invasion soviétique de 1979 ne nous a pas laissé le temps de sauver, dans des jarres stockées dans une pièce de la trésorerie tenant lieu de magasin à livres. La lecture des rouleaux se faisait sous les portiques doriques d’une cour attenante, voisine des appartements privés du palais. Cette découverte renvoie à l’image de ces princes hellénistiques protecteurs des lettres et des arts qui entretenaient de riches bibliothèques ouvertes aux savants. Nul doute que dans le vaste gymnase de la ville conférenciers de passage et des professeurs du cru commentait des œuvres de ce type. Du même endroit proviennent également les débris encore plus mutilés d’un parchemin, conservant des bribes de trimètres iambiques qui pourraient se rapporter à une pièce de théâtre. On le croira d’autant plus volontiers qu’Aï Khanoum possédait un grand théâtre pouvant contenir plusieurs milliers de spectateurs, dont la cavea à gradins de briques crues avait été aménagée sur la pente intérieure de l’acropole. La trouvaille dans une fontaine construite en bordure de l’Oxus d’une gargouille en pierre représentant le masque comique de l’esclave-cuisinier de la comédie nouvelle apporte la preuve indirecte mais incontestable que le théâtre d’Aï Khanoum n’avait pas été utilisé seulement comme lieu de réunion publique, mais qu’on y avait joué, à côté des mimes si populaires à cette époque, les pièces tragiques et comiques du grand répertoire grec. C’est de la région d’Aï Khanoum que proviendrait une autre trouvaille fortuite : une dédicace métrique en tétramètres trochaïques d’un certain Héliodotos, sans doute un officier de la cour, qui consacre dans un bois sacré de Zeus un autel en l’honneur d’Hestia, à laquelle il demande qu’avec l’aide de la Bonne Fortune elle veille sur le salut du roi bactrien Euthydème, qui régna dans le dernier quart du III° siècle av. n. è., et sur celui de son fils Démétrios. C’est un beau document qui témoigne de cultes typiquement grecs : Zeus, Tychè et surtout Hestia, la déesse du foyer civique, et familial. C’est surtout un document historique de grande importance, car on peut le mettre en rapport avec un événement bien connu de l’histoire gréco-bactrienne rapporté par Polybe au livre XI, à savoir le siège soutenu victorieusement pendant deux ans (206-205) par le roi Euthydème dans sa capitale de Bactres contre les assauts d’Antiochos III qui tentait de reconquérir les provinces de l’Asie Centrale qui avaient fait sécession du royaume séleucide cinquante ans plus tôt. Le qualificatif « le plus grand de tous les rois » utilisé pour Euthydème et l’épithète de kallinikos « aux belles victoires » accordée au jeune prince héritier Démétrios, un neaniskos au dire de Polybe, font clairement allusion à cet épisode fondateur de l’histoire gréco-bactrienne. On sent passer dans ce court poème le souffle de fierté et d’optimisme qui a du parcourir les cités grecques de la Bactriane au lendemain du retrait d’Antiochos III. Elles étaient désormais maîtresses de leur destin et un avenir sans limite s’ouvrait grand devant elles: encore quelques années et Démétrios conquerrait l’Inde du Nord-Ouest. Quittant la Bactriane, transportons-nous dans l’Afghanistan méridional, plus précisément à Kandahar, refondée par Alexandre à son nom, qui avait, à l’automne de 330 av. n. è., installé dans la nouvelle Alexandrie d’Arachosie une grosse colonie militaire, car la ville contrôlait la principale route reliant l’Iran à l’Inde et celle qui, du Sud, conduisait en Bactriane. Dans les années troublées qui suivirent la mort d’Alexandre la province était tombée aux mains de la dynastie indienne des Maurya en train de réunir sous son pouvoir une Inde pour la première fois unifiée. Vers 250 avant notre ère le roi indien Asoka, le plus grand souverain de cette dynastie, fait graver à Kandahar des traductions grecques d’une série de proclamations faites ailleurs en langue indienne à l’intention de ses sujets indiens. Le roi y prêche le respect de la vie, y compris celle des animaux, la compassion, la tolérance et le respect mutuel, le dévouement à autrui. Les traits fondamentaux de cette morale, tout en étant conformes à celle du bouddhisme, dont Asoka était devenu un adepte à la suite d’une crise de conscience provoquée en lui par les horreurs d’une guerre de conquête qu’il avait menée contre la province du Kalinga, et qui étaient communs aux autres religions de l’Inde, rejoignent dans une large mesure les préceptes de la sagesse grecque des maximes delphiques, dont il a certainement eu connaissance sans qu’elle ait pour autant influencé la conception, fondamentalement indienne, de sa propre morale. Voici la traduction de quelques passages de l’un de ces textes : « Dans la huitième année de son règne Piodassès a conquis le Kalinga. Cent cinquante mille personnes y ont été capturées et ont été déportées, cent mille autres ont été tuées et à peu près autant d’autres sont mortes. Depuis ce temps-là la pitié et la compassion l’ont saisi et il en a été accablé. De la même manière qu’il ordonnait de s’abstenir des êtres vivants, il a employé zèle et effort pour la piété. » « ….Le plus important est la piété (eusebeia) et la maîtrise de soi (egkrateia) dans toutes les écoles de pensée. …Il convient de se témoigner une estime mutuelle et d’accepter chacun les enseignements des autres ». Les commentateurs ont insisté sur le fait que les traducteurs, certainement des Grecs initiés aux langues indiennes, usent d’un grec bien vivant, épousant les évolutions linguistiques normales, et qu’ils connaissent bien la langue littéraire, notamment celle des philosophes, même si le décalage existant entre les deux cultures aboutit à certains à-peu-près dans le passage de l’indien au grec : ainsi le grec diatribê qui designe en grec les écoles philosophiques n’est qu’une approximation qui laisse échapper la nature religieuse et sociale des communautés religieuses indiennes désignées par le terme générique de pasamda, avec leur clergé, leurs ascètes, leur communauté de laïcs, où la spéculation philosophique est inséparable de la pensée théologique. La présence de ces traductions de l’indien en grec à Kandahar est en tout cas le signe irréfutable qu’Alexandrie d’Arachosie, même sous les Maurya, était resté un bastion de la présence grecque, tel que l’avait édifié peu de temps avant la mainmise des Maurya sur la province, l’habile politique du satrape grec Sibyrtios (vers 325-310), qui avait accueilli à sa cour l’historien grec Mégasthène à qui nous devons la meilleure description que nous aient laissée les Anciens de l’Inde qu’il était allé visiter à partir de Kandahar. L’enracinement et le rayonnement de la culture grecque à Alexandrie d’Arachosie ont reçu récemment une confirmation éclatante venue de la trouvaille fortuite sur le site de la vieille Kandahar d’une épigramme funéraire de dix distiques élégiaques composée par le défunt lui-même vers 150 av. n. è., qui y raconte la vie peu commune qui fut la sienne. Alors qu’il était né dans une vieille famille aisée, la violence implacable du destin anéantit celle-ci, le laissant tout jeune sans ressources. L’éducation qu’il avait reçue en pratiquant la poésie et la sagesse, lui permit de concevoir une issue à ses malheurs : il emprunta de l’argent et partit chercher fortune à l’étranger, jurant de ne revenir que couvert d’or. Après d’innombrables années d’absence il rentre au pays riche et de nouveau respecté, sous les acclamations de ses amis. Il restaure et reconstruit la maison de famille délabrée, relève le tombeau ancestral écroulé et y insère l’inscription qui doit témoigner à jamais de tout ce qu’il a accompli, exemple que ses descendants devront imiter. Cette paraphrase du texte s’inspire de la traduction faite par G. Rougemont. Ce qui est vraiment surprenant, c’est que l’auteur de ce poème qu’il signe de son nom grâce à l’artifice raffiné d’un acrostiche, et où il étale un talent poétique réel, nourri de toutes les ressources de la poésie épigrammatique grecque, n’est pas un Grec de souche mais un Indien comme en font foi, sans discussion possible, son nom Sôphytos, où l’indianiste J.-G. Pinault reconnaît, habillé à la grecque sur le modèle de noms comme Sophilos, Sostratès, Socratès etc…, un nom indien Subhuti (« prospérité »), bien attesté dans la littérature bouddhique, et celui de son père Naratos construit sur le terme indien nara qui dénote la virilité. L’indianité de Sôphytos est également assurée par le fait qu’on connaît à l’époque d’Alexandre dans le Pendjab un prince indien du nom de Sôpeithès, qui n’est qu’une transcription voisine du même anthroponyme indien Subhuti. Cet Indien disposait d’un mausolée familial, qui était, comme dans toute cité grecque, construit sur le bord d’une des voies d’accès à la ville, bien en vue. Or les Grecs arrivant dans l’Inde avaient été frappés par l’absence de monuments funéraires (Arrien); tout au plus y avaient-ils vu des tertres de dimensions modestes. Mieux encore : l’exposition à la vue de tous sur la tombe d’une inscription vantant les mérites du défunt est sans exemple dans le monde traditionnel indien. On mesure par-là combien notre Sophytos qui avait fait sienne la langue grecque qu’il pratiquait avec ferveur et qui vivait, lui et sa famille, à la grecque, s’était éloigné de sa culture ancestrale. Cette rupture avec son indianité est d’autant plus inattendue que l’on sait les Indiens, comme les Grecs l’avaient déjà noté, hostiles aux influences extérieures. Il est vrai que depuis plusieurs décennies, depuis 190, l’Arachosie, reprise aux Indiens par Démétrios, le fils d’Euthydème dont nous avons parlé, était redevenue une terre pleinement grecque, politiquement et culturellement. Il n’empêche que ce cas d’identification totale à la culture grecque de la part d’un Indien, même s’il pouvait passer pour un expatrié en terre grecque, ne laisse pas d’étonner. L’énigme Sôphytos ne s’arrête pas avec le fils de Naratos. On connaît dans l’interrègne entre Alexandre et Séleucos I, en gros dans les années 315-310, en Bactriane, une série de monnaies grecques d’une qualité exceptionnelle frappées par un satrape du nom de Sôphytos, qui était certainement à la tête d’une province, peut-être la Bactriane elle-même, peuplée de colons grecs. Ce puissant personnage qui a frappé des monnaies d’or, privilège en principe royal, était, comme le marchand de Kandahar, d’origine indienne et on retrouve avec lui la même identification sans réticence à la la culture grecque, notamment dans son portrait coiffé du casque attique qui imite celui d’Athéna sur une série de monnaies de pseudo-athéniennes également sortie de son propre atelier monétaire. On est alors en droit de se demander si le marchand de Kandahar du milieu du II° siècle av. n. è. ne serait pas un descendant du satrape de la Bactriane à la fin du IV° siècle, et si l’on n’est pas là devant le cas d’une famille d’origine indienne conquise à l’hellénisme et qui en cultivait la tradition depuis plusieurs générations, ce qui aiderait à comprendre comment le fils de Naratos a pu savoir le grec au point de composer avec aisance des poèmes dans cette langue. Parce que j’avais choisi de vous parler des témoignages que nous possédons sur la langue grecque dans ces lointaines colonies et parce que je vous ai montré quelques autres documents archéologiques fidèles à la tradition méditerranéenne, j’ai conscience d’avoir beaucoup simplifié, peut-être même outrancièrement, la réalité des choses, car lorsqu’une civilisation s’impose à d’autres, comme le fit la culture grecque, elle ne cohabite pas avec elles pendant deux ou trois siècles sans être, en retour, affectée par elles. Déjà une plaque en argent doré figurant la déesse grecque Cybèle traversant un paysage de montagnes sur son char attelé de lions et guidé par une Nikè, en compagnie de deux de ses prêtres, avait mis sous vos yeux un exemple de style gréco-oriental. Si j’en avais eu le temps, j’aurais pu vous montrer que, hormis quelques bâtiments qui, répondant à des usages spécifiquement grecs comme le gymnase et le théâtre, adoptent des modèles grecs, l’architecture d’Aï Khanoum dans son ensemble suit des plans d’inspiration orientale, où seuls les éléments décoratifs, colonnes et antéfixes, mettent une touche grecque. L’architecture religieuse tourne, elle aussi, le dos aux modèles grecs, même si nous avons lieu de croire qu’on y vénérait un panthéon grec ou gréco-iranien. Plus étonnant encore, les architectes gréco-bactriens inventent un type de maison privée qui ne ressemble plus à la maison grecque traditionnelle à cour centrale. La suprématie de la langue grecque, comme langue de culture, dura jusqu’à la fin du Ier siècle de notre ère. Quand elle disparut, exclue de ce rôle par un ukase de la dynastie des conquérants kushans au profit du bactrien, langue des autochtones, elle laissa comme ultime héritage son alphabet qui servit à noter cette langue bactrienne, qui, jusque-là, était restée sans écriture.