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Bilan

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Etats généraux de l'Antiquité

Samedi 28 février 2015, amphithéâtre Richelieu, Université Paris-Sorbonne

Organisés par l’APLAES (Association des Professeurs de Langues Anciennes de l’Enseignement Supérieur) et la SOPHAU (Société des Professeurs d’Histoire Ancienne de l’Université), avec le soutien de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres et la Fondation Simone et Cino Del Duca.

Compte-rendu des tables rondes 'l'Antiquité et l'éducation' et 'l'Antiquité et la culture européenne'.

L'introduction générale à ces états généraux est assurée par Isabelle Cogitore (Université Stendhal-Grenoble 3), présidente de l'APLAES, et Antonio Gonzales (Université de Franche-Comté, Besançon), président de la SOPHAU. Ils commencent par rappeler ce constat de départ, paradoxal à plus d'un titre : la recherche sur l'Antiquité est extrêmement active, bien qu'elle ait tendance à être minorée dans le spectre scientifique actuel, en particulier en France. Ils rappellent les préoccupations, partagées par les deux associations organisatrices, qui ont servi de point de départ au projet : elles ont trait à la place de l'Antiquité dans l'actualité, et dans l'avenir. Le but de ces états généraux est de réfléchir à ces questions, sans pour autant établir des cahiers de doléances. L'un des objectifs est de déboucher sur des réponses et des propositions concrètes, grâce au dialogue avec l'auditoire ainsi que par la mise en place d'un blog participatif. Les thématiques des trois tables rondes sont présentées par A. Gonzalez. Les associations organisatrices souhaitent donner de multiples prolongements à cette journée (via le blog, mais également des actions futures, pour manifester l'existence et la vitalité des sciences de l'Antiquité). L'aspect participatif de la manifestation, qu'il convient de saluer, est souligné : une boîte à idées a ainsi été disposée dans le hall. Les membres de l'auditoire sont invités à y déposer leurs commentaires, suggestions et questions. Les organisateurs soulignent la présence de représentants d'associations et d'institutions amies, témoignant d'une ouverture à l'international (étaient notamment présents des représentants de l' Université Cheikh Anta Diop de Dakar).

Table ronde du matin (10h-12h), Antiquité et éducation

Intervenants : Augustin D'Humières (Professeur agrégé de lettres classiques au lycée Jean-Vilar de Meaux - Seine et Marne), Bernard Legras (Professeur d’Histoire grecque, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Dario Mantovani (Professeur de Droit romain à l’Université de Pavie, directeur de la revue Athenaeum et du CEDANT - Centro di studi e di ricerche sui diritti antichi), Maurice Sartre (Professeur émérite d’Histoire ancienne à l’Université de Tours) et Monique Trédé (Professeur émérite de Langue et littérature grecques à l’École Normale Supérieure de Paris, Présidente de l’association Sauvegarde des Enseignements Littéraires - SEL).

La première table ronde était centrée sur la formation et ses enjeux, englobant à la fois la formation des élèves du second degré et celle des étudiants dans l'enseignement supérieur. Les deux sont étroitement reliés, ne serait-ce qu'en raison de la continuité qui existe entre le secondaire et le supérieur, dans un contexte de massification. L'enseignement supérieur contribue en outre largement à former les professeurs du second degré. La qualité de la formation des maîtres reste ainsi la condition première d'un enseignement de qualité dans le second degré. Les points abordés ont notamment mis en lumière l'importance de la recherche d'un équilibre entre les différents aspects de la formation (langues, cultures, histoire).

A. d'Humières, en poste depuis 1995, apporte quelques éléments concernant les raisons de la régression de l'enseignement des langues anciennes, et leur marginalisation progressive. Il rappelle notamment qu'au sein des administrations de l'Éducation nationale, latin et grec sont considérés comme des cibles, et restent perçus comme des instruments au service de l'élitisme scolaire, peu ouverts sur la société moderne, à mettre de côté au profit d'autres apprentissages plus urgents (comme les langues vivantes). Il constate l'absence, au niveau des institutions de l'Éducation nationale, d'une réelle volonté de faire exister ces matières. En témoigne la suppression du Capes de lettres classiques. L'école actuelle s'est construite sur un rejet de la culture humaniste, avec les conséquences actuelles que l'on peut constater. Il conclut en donnant des exemples d'arguments qu'il a l'habitude d'utiliser pour défendre l'utilité et l'intérêt des langues anciennes auprès des collégiens. L'un de ces arguments insiste sur le rôle de soutien que ces matières ont à jouer dans l'apprentissage des langues vivantes et du français.

À la question 'pourquoi enseigner le latin et le grec aujourd'hui ?', M. Trédé répond en soulignant le lien avec la langue française (en particulier à travers l'apprentissage de l'étymologie, très prisé par les élèves). Latin et grec constituent également une manière privilégiée d'intégrer les jeunes des quartiers par l'étude des langues et des cultures méditerranéennes. M. Trédé conclut en rappelant que les langues anciennes ne figurent pas dans le nouveau socle de connaissances communes élaboré par le Conseil Supérieur des Programmes. Interrogé sur la place de la langue latine dans le système d'enseignement secondaire italien, Dario Mantovani insiste sur le fait que le volume horaire des langues anciennes, au lycée classique, est comparable à celui de l'enseignement d'italien. Selon lui, le principal problème qui se pose, c'est celui de la poursuite de l'étude de ces langues anciennes après le lycée. Il rappelle le lien essentiel entre apprentissage des langues anciennes et maîtrise de sa propre langue. A. d'Humières fait écho à cette question du lien entre apprentissage des langues anciennes et maîtrise de leur langue maternelle par les élèves du secondaire. Lui procède d'habitude en expliquant aux élèves ce que la non maîtrise de leur propre langue va leur interdire : l' apprentissage efficace des langues vivantes, l'incapacité de s'exprimer de manière complexe et nuancée, et, pour finir, l'impossibilité d'agir sur le monde et de s'adapter à la société. Présenter aux élèves les cours de grec et de latin comme le seul endroit où l'on peut leur faire rattraper ces lacunes trouve en général un écho certain auprès d'eux.

B. Legras se livre au commentaire d'un cahier d'élève de troisième d'un collège parisien (mais l'on peut s'interroger sur le caractère représentatif des échantillons choisis, dans la mesure où il s'agit du cahier d'un élève scolarisé dans un établissement de Paris intra muros).

Les intervenants réfléchissent ensuite à des propositions concrètes pour renouveler et soutenir l'apprentissage des langues anciennes dans le secondaire. D. Mantovani insiste sur l'intérêt que peut présenter l'enseignement des techniques de la rhétorique, en tant qu'elles permettent de 'démonter' et de 'remonter' les textes, et de faire le lien avec des techniques de communication modernes, comme la publicité. M. Trédé rappelle la nécessité de ne pas perdre non plus de vue le plaisir du texte. Les intervenants se mettent d'accord sur l'intérêt de laisser aux professeurs une liberté plus grande dans le choix des textes d'étude, et d'utiliser des documents authentiques, comme les inscriptions ou les papyri, qui intéressent généralement beaucoup les élèves. Introduire ce type de supports permet aux élèves d'avoir accès aux objets archéologiques, et de présenter les textes dans leur matérialité.

S'agissant de la place des sciences de l'Antiquité au sein de l'enseignement supérieur, les propositions suivantes sont faites par les intervenants. B. Legras aborde la nécessité d'élaborer un socle commun autour de ces disciplines dans l'enseignement supérieur. D. Mantovani rappelle que certaines disciplines de l'enseignement supérieur ne peuvent se passer des études anciennes, et insiste sur l'importance du rapport aux textes, notamment dans des disciplines comme le droit. Le principal problème soulevé par les intervenants à propos de la structuration de la formation des antiquisants en France est la dichotomie entre langues anciennes et histoire ancienne, cette dernière discipline étant habituellement rattachée aux UFR d'histoire. On pourrait, pour gagner en visibilité, concevoir une autre structuration réunissant philologues, archéologues et historiens, sur le modèle des départements de classics anglo-saxons. B. Legras rappelle que la clé de voûte permettant le maintien de l'histoire ancienne au sein des UFR d'histoire, c'est sa place aux concours. La réforme récente du Capes d'histoire a limité le programme à trois périodes sur les quatre (histoire ancienne, histoire médiévale, histoire moderne, histoire contemporaine) : il y a donc bien un risque de minoration de l'histoire ancienne, au détriment de l'histoire contemporaine. M. Trédé souligne en outre le fait que la suppression du Capes de lettres classiques n'assure plus la pérennité de la discipline comme cela pouvait être le cas auparavant. Enfin, s'agissant des sciences de l'Antiquité, la séparation entre langue, histoire, histoire de l'art, archéologie est perçue comme dommageable par l'ensemble des intervenants.

Suite à ce débat, la parole est donnée à la salle, qui soulève certaines questions :
- une professeur de lettres classiques au collège prend la parole pour présenter quelques innovations pédagogiques (apprentissage oral du latin comme langue vivante, recours aux outils numériques, 'actualisation' du latin -lecture de livres contemporains en latin).
- un doctorant en mathématiques souligne le lien entre le combat pour la défense des langues anciennes au lycée, et la défense des mathématiques. Le combat qui doit être mené est un combat pour la substance de l'enseignement : il ne faut pas lutter discipline par discipline pour l'attribution de plages horaires qui se réduisent sans cesse, mais agir au contraire de manière conjointe et unie, puisque les modalités actuelles d'attribution des volumes horaires pour chaque discipline ont pour conséquence un saupoudrage des enseignements.
- un représentant sénégalais livre quelques éléments sur l'enseignement du latin et du grec au Sénégal depuis 1960. Ces enseignements permettent de renforcer la maîtrise de la langue française, qui n'est pas la langue maternelle des étudiants. L'apprentissage du latin et du grec permet enfin une ouverture sur d'autres disciplines (droit, médecine).
- une maître de conférence rappelle que le problème de fond, pour la situation des langues anciennes dans l'enseignement secondaire, reste la dotation horaire globale, qui fait que les élèves, ne pouvant plus étudier le latin et le grec au lycée, le découvrent très fréquemment à l'université en première année, ce qui contribue à expliquer, en retour, la chute des effectifs des étudiants souhaitant exercer dans le secondaire.
- A. d'Humières souligne qu'il y a bien une demande des élèves sur le terrain, mais qu'il n'y a pas assez de professeurs à mettre en face d'eux pour leur dispenser ces enseignements.

Table ronde 'Antiquité et culture européenne'

B. Cassin rappelle l'importance d’étudier les textes en langue originale, ainsi que celle de la traduction.

M. Zink souligne que toutes les sociétés (sauf la nôtre) ont un rapport au passé où le passé est présent. Nous, en revanche, vivons une rupture, dans la mesure où nous nous imaginons que la culture actuelle est définitive et meilleure.

N. Grimal insiste sur le fait qu'en tant qu' égyptologue, il représente un domaine d'étude qui n’a jamais été, culturellement, en position de domination dans l’enseignement et la recherche en France. L’apport de la culture égyptienne est pourtant le même que celui de la culture grecque. L'égyptologie est désormais une discipline rare, qui se mérite ; le grec et le latin sont malheureusement en train de le devenir aussi. Il faut les faire connaître. Quelques questions sont posées, notamment par des représentants de l'association Euroclassica, sur la place des langues anciennes à l'échelle européenne.