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Archives - 2009

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Assemblée générale 2009

Paul Demont, président

Chers amis,

Mes premiers mots seront, et vous le comprendrez bien, pour évoquer la mémoire de Mme Christiane Picard, qui fut notre Secrétaire générale depuis la fondation de l'Association, le 10 février 1992 : elle n'avait pu participer à notre assemblée générale de l'an dernier, et est décédée deux mois plus tard. J'ai rendu hommage à ses capacités d'organisation, à son inlassable dévouement, à son engagement, dans notre lettre d'information de l'été dernier, et vous demande maintenant d'observer un instant de silence en son honneur. Son décès a obligé notre Conseil, réuni le 19 juin 2008, à modifier la composition du Bureau de l'Association. Mme Sabine Jarrety, professeur au Lycée La Fontaine, et que vous connaissez bien, est devenue Secrétaire générale, Mme Emmanuèle Blanc, professeur de khâgne au Lycée Louis-le-Grand, a bien voulu la remplacer dans ses fonctions de trésorière. Je les remercie toutes deux très chaleureusement de leur engagement. Notre siège social, qui était au domicile de Mme Picard, a dû aussi être changé. La procédure administrative est complexe et lente, elle n'est pas encore tout à fait terminée, mais je suis heureux de vous confirmer que le Conseil d'administration de l'École Normale Supérieure, sur proposition de sa directrice, Mme Monique Canto-Sperber, à qui j'exprime tous nos remerciements, a accepté que nous soyons désormais domiciliés au 45, rue d'Ulm. Cependant, afin de ne pas surcharger les services de l'ENS, et pour des raisons de commodité, nous vous demandons instamment d'envoyer vos courriers à: S.E.L., 29, boulevard Murat, 5016 Paris. Ainsi organisée, notre association est toujours en ordre de marche, ce qui, dans la situation présente, est une nécessité.

L'année écoulée depuis notre dernière assemblée générale a en effet été, une fois de plus, très agitée. Plutôt que de l'évoquer en suivant la chronologie, et pour ne pas répéter ce dont vous avez déjà pris connaissance dans nos lettres d'information, je vous propose quelques remarques engageant notre action à propos de l'école primaire, des lycées et de la formation des professeurs dans les disciplines littéraires.

Concernant l'école primaire, notre association est avant tout attentive à l'apprentissage du français. Peu de temps après notre assemblée de l'an dernier, le journal Le Monde publiait (le 28 mars), dans un entrefilet, les résultats, dont il avait pu prendre connaissance, d'une étude très savante de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance du Ministère de l'éducation; cette étude est enfin parue, dans une note d'information du mois de décembre intitulée "Lire, écrire, compter: les performances des élèves de CM2 à vingt ans d'intervalle: 1987-2007". Chacun peut la lire sur le site du ministère, ce que je vous recommande vivement. On y apprend en effet que si "en lecture, les résultats sont stables de 1987 à 1997", "en revanche, on observe une baisse significative du score moyen entre 1997 et 2007, plus prononcée pour les élèves les plus faibles", un constat qui doit évidemment conduire à mettre en cause l'évolution des programmes. On y apprend aussi que "concernant l'orthographe, le nombre d'erreurs, essentiellement grammaticales, constatées à la même dictée, a significativement augmenté de 1987 à 1997". Voici l'un des exemples donnés: alors qu'en 1987, "87% des élèves conjuguaient correctement le verbe tombait dans la phrase Le soir tombait, ils ne sont plus aujourd'hui que 63%". Il apparaît aussi qu'un élève sur deux, actuellement, se trompe en écrivant: certainement. Une autre note, une note "d'évaluation" celle-là, d'octobre 2008, tout aussi savante, mais fondée sur une docimologie fort différente, conclut que les élèves actuels sont particulièrement "mis en difficulté par les textes qui exigent une lecture suivie", et surtout quand ils sont d'origine modeste. Je vous donne ces éléments pour vous montrer que le diagnostic, désormais, tend à être accepté, après avoir été si longtemps dénié. Certes, les programmes ne sont pas seuls en cause, et l'évolution générale de notre société vers l'oralité, le privilège donné aux images sur les textes, les modes nouveaux de communication et de spectacle, jouent un rôle majeur. Mais l'enseignement peut et doit s'efforcer de remédier à cette dégradation, dont les conséquences sociales et humaines sont évidentes. Les réponses apportées par la réforme récente des programmes du primaire, en ce qui concerne le français, nous semblent aller, à cet égard, dans la bonne voie, nous le redisons encore au moment où certains voudraient revenir aux errements du passé récent, et nous encourageons leur prolongement dans les collèges, et même dans les lycées (notamment pour l'épreuve de français du baccalauréat). Il reste cependant à donner aux professeurs des Écoles les moyens horaires d'un enseignement sérieux. Quand, à Paris, sur les 26 heures hebdomadaires, 10 sont obligatoirement consacrées aux activités d'éveil, le programme est bien difficile à tenir...

En ce qui concerne les Lycées, l'année 2008 a été marquée par la proposition d'un plan de réforme, puis par son retrait, en attendant qu'un nouveau plan soit établi, sous la responsabilité, désormais, de M. Richard Descoings, directeur de Sciences Po Paris. Le plan, dans les premières versions qui ont circulé, était, à notre avis, contradictoire avec les objectifs que je viens de définir, puisqu'il semblait que l'horaire de l'enseignement du français allait se trouver très fortement réduit pour la plus grande partie des élèves. D'autre part, la suppression des options facultatives choisies par les élèves en plus de l'horaire normal des cours et récompensées au baccalauréat par des points supplémentaires correspondant à un travail supplémentaire —une suppression depuis si longtemps souhaitée par certains services du Ministère (qu'on songe aux projets Jospin-Allègre, ceux-là même qui ont été à l'origine de la fondation de notre association) —, représentait pour le latin et le grec une menace mortelle. M. Xavier Darcos, Ministre de l'Éducation nationale, qui avait bien voulu m'accorder une audience à la fin du mois de juillet, avait bien tenté de me rassurer sur ces deux points, mais il nous est apparu en septembre que les menaces étaient trop graves. J'ai pris l'initiative d'une rencontre avec les principales autres associations concernées, qui a abouti à la publication d'un communiqué commun, qu'on peut encore lire notamment sur notre site. On ne peut pas dire que ce communiqué ait éveillé un grand intérêt dans la presse, mais il était absolument nécessaire et a eu un certain retentissement, en tout cas, parmi nos membres et parmi les enseignants. L'audience que m'a accordée un peu plus tard M. Mark Sherringham, conseiller du Ministre, a beaucoup précisé les choses et dissipé nos craintes, d'une façon satisfaisante, en ce qui concerne l'enseignement du français, mais non pour les langues anciennes, dont le statut dans le nouveau système restait extrêmement incertain. Aussi avons-nous accueilli avec soulagement le report de la réforme, d'autant que d'autres aspects de celle-ci, sur lesquels je ne m'étends pas, risquaient d'introduire un certain désordre dans la prochaine année scolaire. Comme nous vous l'avons écrit, nous sommes viscéralement attachés à un enseignement correct du français, sous les deux aspects de la langue et de la littérature, ainsi qu'au maintien de la possibilité d'enseignements optionnels de langues anciennes, sanctionnés, au baccalauréat, selon des modalités proches des modalités actuelles, celles, rappelons-le, que M. François Fillon, alors Ministre de l'Éducation nationale, avait définies, pour tous les élèves de l'enseignement général, d'une façon tout à fait heureuse. Malgré les très grandes difficultés rencontrées, notamment dans les Lycées, en raison de la politique de bassin ou d'horaires dissuasifs, l'enseignement des langues anciennes a concerné, en 2007-2008, d'après une note disponible sur le site du Ministère (Repères et références statistiques, édition 2008, p. 126-127), 20% des collégiens et 6% des lycéens. Cela représente un ensemble non négligeable, dont le sort ne saurait laisser indifférent, de jeunes qui cherchent à mieux connaître leur propre langue par le biais des exercices de traduction et par l'apprentissage des langues sources de la nôtre, qui en même temps font l'effort de découvrir des littératures et des civilisations aussi fascinantes par leur étrangeté que par leur proximité et leur influence, bref tout un ensemble participant fortement et heureusement à la cohésion et à la richesse de leur éducation.

Les passeurs de cette éducation sont les enseignants. Il me faut évoquer maintenant cet aspect, bien qu'il ne concerne pas au premier chef notre association, —et c'est pourquoi je n'aborderai pas la question de la formation professionnelle ni des stages qui lui sont liés, ou plutôt qui devraient lui être liés au cours de la scolarité,— car les réformes en cours de la formation des professeurs du second degré auront bien sûr des conséquences sur l'enseignement du français et des langues anciennes. Dans l'état actuel du projet de réforme du CAPES, qui est l'un des concours de recrutement des professeurs de collèges et de lycées, et qui serait maintenu en tant que concours national (de cela nous nous félicitions vivement), un schéma unique, inspiré de celui des concours administratifs, serait appliqué à toutes les disciplines, à savoir deux épreuves évaluant les connaissances dans les disciplines d'enseignement à l'écrit, et deux épreuves à orientation plus professionnelle à l'oral. Actuellement, le nombre d'épreuves théoriques sur lesquelles sont sélectionnés les professeurs est nettement plus important. Ainsi, pour ce qui nous concerne, les deux concours de Lettres modernes et de Lettres classiques seraient maintenus (de cela aussi nous nous félicitons), mais, en Lettres classiques, une seule langue ancienne, choisie par tirage au sort dans des conditions peu claires, serait évaluée à l'écrit, sans que l'évaluation éventuelle de l'autre langue ancienne à l'oral soit clairement précisée; et en Lettres modernes, on ne voit pas actuellement comment l'une des deux épreuves d'écrit pourrait évaluer la connaissance, si nécessaire, d'une langue vivante ou ancienne. Il semble que cette limitation à deux épreuves d'écrit cherche, pour des raisons d'économie principalement, et d'uniformisation administrative secondairement, à imposer un schéma qui ne convient pas à la spécificité des métiers de l'enseignement par rapport aux autres métiers de la fonction publique, à savoir la transmission des connaissances, qu'il faut évaluer précisément avant de confier à quiconque la mission de les enseigner. On nous dit certes que ce sera désormais la tâche des universités que de proposer des masters d'enseignement évaluant l'ensemble de ce que le concours évaluera de façon sélective. Mais le risque est grand de voir les concours, qui assurent seuls un emploi, orienter la nature même des masters, qui seraient ainsi peu à peu appauvris. L'enseignement du latin à l'université est en particulier très menacé. Nous demandons donc instamment que soient prévues trois épreuves disciplinaires à l'écrit des nouveaux concours annoncés. Un autre concours de recrutement nous tient à cœur, l'agrégation, dont la préparation doit être compatible avec l'existence des nouveaux masters associés aux nouveaux concours prévus. Je n'entrerai pas dans le détail des précisions souhaitables à cet égard, et qui, aux dernières nouvelles, seront prochainement annoncées publiquement. Je voudrais seulement, en ce qui concerne le latin et le grec, saluer à nouveau la mesure prise cet été, qui permet désormais, pour l'agrégation de lettres modernes, de choisir entre une version de latin et une version de grec à l'écrit. Ainsi la formation de nos professeurs de français, même "modernes", pourra s'irriguer à la source grecque comme à la source latine, à partir d'une connaissance précise de la langue.

Au cours de l'année écoulée ou encore tout récemment au début de 2009, nous avons comme d'habitude soutenu, grâce à votre fidélité, de multiples initiatives en faveur des langues anciennes, des voyages scolaires, particulièrement dans le cas de collèges de ZEP, ou universitaires (Paris-IV et Paris-VII), des concours comme le concours européen Cicéron ou le concours académique de langues anciennes de Clermont-Ferrand, et des manifestations publiques comme le festival breton des langues anciennes: nous avons particulièrement aidé le collège-lycée de Die dans la Drôme, dont l'action pour les langues anciennes est tout à fait exceptionnelle et admirable. L'une de nos dernières interventions peut être mentionnée: nous avons offert leur repas (modeste: il s'agissait de sandwiches) à une petite centaine d'élèves d'Ile-de-France qui participaient, sous la conduite de leur professeur, à une "Semaine grecque" organisée avec passion à l'ENS de Paris. Nous examinons avec bienveillance tous les projets argumentés, accompagnés d’un budget prévisionnel précis et, dans le cas des collèges et des lycées, de la recommandation du chef d’établissement; nous souhaitons aussi recevoir ensuite un compte-rendu détaillé de l'utilisation de notre aide. Votre argent permet ainsi à des jeunes de faire des expériences et des découvertes de grande importance dans leur itinéraire intellectuel et humain.

Je terminerai en remerciant chaleureusement notre conférencier d'aujourd'hui, M. Laurent Pernot, professeur à l'Université de Strasbourg et membre correspondant de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, de nous entretenir d'un sujet qu'il connaît mieux que quiconque, je crois, au monde, l'histoire de la rhétorique, un sujet qui croise l'antiquité et le monde moderne dans certains de leurs aspects les plus concrets et les plus vivants. Parmi ses nombreux ouvrages, je vous signale tout particulièrement sa Rhétorique dans l'Antiquité, au Livre de Poche, et son dernier-né, dans la collection "Signets" des éditions Les Belles Lettres, au titre si évocateur: À l'école des Anciens. Professeurs, élèves et étudiants, un petit livre qu'il acceptera certainement de vous dédicacer tout à l'heure.

Vous avez sûrement vu, avec tristesse, que Mme Jacqueline de Romilly, pour la première fois depuis qu'elle a fondé notre Association, n'est pas présente aujourd'hui parmi nous, en raison de difficultés de déplacement bien compréhensibles à l'approche de ses 96 ans. Elle le regrette profondément. Elle a cependant tenu à nous transmettre un message, que Mme Monique Trédé, membre de notre Conseil, a recueilli et qu'elle va vous lire. Mais, si j'ose dire, je vais profiter de son absence pour vous dire auparavant à son sujet deux choses qu'elle ne m'aurait peut-être pas permis de dire en sa présence et qui manifestent à nouveau avec éclat son rayonnement. Elle a reçu à l'automne dernier, à l'ambassade de Grèce, un prix prestigieux du Parlement grec, dont elle est la première lauréate, pour son action en faveur de la démocratie. En France, son nom a été donné à un collège de Seine-et-Marne, où désormais de jeunes collégiens travailleront donc sous son patronage: c'est l'un des plus beaux hommages qui pouvaient lui être rendus. Je donne maintenant la parole à Mme Trédé. Nous pourrons ensuite avoir un débat, avant la lecture du rapport financier. Je vous remercie de votre attention, de votre soutien et de votre confiance.