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<div id='slidertitre'><h1 title='Actualité : Quelques souvenirs de l'année !'>Actualité : Quelques souvenirs de l'année !</h1></div><div id='slidertexte'>Date : 2024-06-10<p>Cette année, SEL a aidé près de 450 élèves à remonter le temps et à partir découvrir les vestiges antiques en Italie, Grèce, France, Espagne, Allemagne... Merci à leurs professeurs pour les photos souvenirs, et mention spéciale aux collégiens de Seloncourt (collège des Hautes vignes) pour leur carte postale ! <br/><img src=&quot;images/images/82.jpg&quot; class=&quot;moitie&quot;/><br/><img src=&quot;images/images/77.jpg&quot; class=&quot;tiers&quot;/><br/><img src=&quot;images/images/78.jpg&quot; class=&quot;tiers&quot;/><br/><img src=&quot;images/images/76.jpg&quot; class=&quot;moitie&quot;/><br/><img src=&quot;images/images/75.jpg&quot; class=&quot;moitie&quot;/><br/><img src=&quot;images/images/74.jpg&quot; class=&quot;moitie&quot;/><br/><img src=&quot;images/images/73.jpg&quot; class=&quot;moitie&quot;/><br/><img src=&quot;images/images/72.jpg&quot; class=&quot;moitie&quot;/><br/><img src=&quot;images/images/87.jpg&quot; class=&quot;moitie&quot;/><br/>Bravo aussi aux organisatrices des Olympiades de Sélestat et aux 150 élèves qui ont pris part aux événements ! <br/><img src=&quot;images/images/83.jpg&quot; class=&quot;plein&quot;/></p></div><a href='actualite?id=156' id='lirelasuite'>Lire la suite</a><div id='slidertitre'><h1 title='Actualité : Résultats du Concours de nouvelles 2024'>Actualité : Résultats du Concours de nouvelles 2024</h1></div><div id='slidertexte'>Date : 2024-03-18<p>Le jury s'est réuni vendredi 24 mai et a établi son palmarès : nous félicitons les neuf lauréates de cette édition ! <br/>La remise des prix aura lieu vendredi 7 juin, à l'Institut, quai Conti, à Paris. </p></div><a href='actualite?id=154' id='lirelasuite'>Lire la suite</a><div id='slidertitre'><h1 title='Actualité : Parution'>Actualité : Parution</h1></div><div id='slidertexte'>Date : 2023-12-19<p>Nous signalons à nos membres la parution d'un ouvrage qui pourrait les intéresser : l'édition critique de <em>La Vie immobile</em> de Costis Palamas (<em>Patries, Les Sonnets, Le Retour</em>), avec des notes, des commentaires et une présentation générale de l’auteur et de son œuvre, 10 janvier prochain, aux éditions Classiques Garnier. <br/>Il y est question de l’Antiquité, bien sûr (Homère, Alcée, Euripide, l’Acropole…), mais aussi de la France et de la Grèce moderne, en particulier de la longue guerre d’indépendance contre l’Empire ottoman : la famille de Palamas était originaire de Missolonghi.<br/><img src=&quot;images/images/70.jpg&quot; class=&quot;moitie&quot;/></p></div><a href='actualite?id=153' id='lirelasuite'>Lire la suite</a>

Actualités

2023/06/03 - Textes des nouvelles primées 2023

Voici le texte des nouvelles primées lors de l'édition 2023 du Concours de nouvelles Jacqueline de Romilly. Bravo à toutes et à tous !
‘Des macchabées, ça disparaît tous les jours’ par Louis Rubellin, Lycée du Parc, Lyon (1er prix – Enseignement supérieur)
C’était tout ce qu’il pouvait se répéter, et il ressassait dans sa tête cette phrase comme pour s’en convaincre, sachant pourtant combien elle était invraisemblable, inacceptable. Et, comme si cette piètre défense ne l’accablait pas suffisamment, son supérieur venait d’être remplacé par un nouveau gradé, à qui il devait exposer l’affaire et dans l’antichambre duquel il patientait depuis maintenant plus d’une heure. L’homme ne s’était pas encore présenté aux troupes de la capitale, personne ne savait qui il était, quelles pouvaient être ses opinions ; mais nul doute que le chaos ambiant de cette dernière semaine, où l’avait propulsé le limogeage soudain de son prédécesseur, ne jouerait pas en faveur de notre soldat, préposé à la garde d’un mort.
Plus que jamais, Faustus se sentait ce pion qui, sur le plateau, pouvait être soufflé à tout moment – position de sursis dans un jeu qui le dépassait. Or il est peu de dire qu’il redoutait ce renvoi, qui signifierait à coup sûr un reniement définitif de la part d’une famille exigeante et habituée au meilleur. Devenir militaire, entrer dans l’armée de la plus grande puissance de l’Histoire, dont les œuvres éclipsaient les royaumes, les empires et tous les régimes passés, présents, et sans doute à venir (si tant est qu’il y eût après elle un avenir) avait été la dernière chance d’un jeune homme perdu, incapable de jamais faire preuve de sérieux dans son travail, et ce quoiqu’il ne manifestât aucune habileté remarquable au combat.
Impossible de se faire renvoyer, donc, mais impossible également de se justifier. Non seulement les quelques mots qui lui venaient étaient tout à fait absurdes, surréalistes même, mais en plus il avait failli. Les consignes, pourtant, étaient claires. Jusqu’à ce qu’il soit relevé, il ne devait ni bouger ni relâcher la garde de la porte d’une chambre mortuaire. C’était aussi simple que cela, c’était loin d’être la mission la plus dure à remplir pour Faustus, qui avait déjà été de garde une semaine durant à la porte Nord de la ville, là où c’est le plus pénible. Enfin, de tels raisonnements n’avaient plus de sens aujourd’hui puisque c’était Ariel tout entière qui semblait agitée, quels que fussent la porte, le quartier, la rue, la maisonnée. Peut-être était-ce dû à l’écrasante chaleur de ces derniers jours (cette chaleur qui l’oppressait encore dans cette pièce où il patientait depuis si longtemps), cette chaleur peut-être responsable de cette faillite à son devoir. Car après tout, quelle autre explication logique à ce soudain évanouissement ? Il avait bien dormi la nuit précédente, n’ayant heureusement pas été réquisitionné pour encadrer le tumulte qui sourdait dans les collines et qui avait fini par s’étendre au centre-ville. Mais enfin ! Qu’avait-il donc pu arriver pour qu’il sombrât dans une léthargie pareille ? Il n’y avait, du reste, rien de fatiguant à garder une porte derrière laquelle, de plus, reposait un mort. Un mort ! Je t’en donnerai, moi, des morts, soupira-t-il à part lui. D’autant plus que ce mort-là, selon Faustus, ne méritait aucunement qu’on surveillât son cadavre, mais bien plutôt qu’on le brûlât. Les meneurs de contestation, on les surveillait quand ils étaient vivants. Pas après qu’ils avaient succombé au supplice qu’on avait pu leur infliger. D’ailleurs, nulle raison ne justifiait la garde de ce cadavre. Ceux que l’on avait exécutés à ses côtés pourrissaient probablement, à l’heure qu’il était, dans une fosse commune, sous les mouches et le soleil de plomb. Mais il avait fallu qu’un imbécile décidât de porter la dépouille dans un lieu à part, ce qu’on avait accepté à condition que ledit lieu fût gardé nuit et jour pour éviter que l’endroit ne devînt un nouveau cœur de la contestation – sinon un lieu de recueillement. Soit, cela se tenait.
Toute cette démonstration n’avait donc servi qu’à revenir au point de départ, à cet axiome absurde qui voulait que les macchabées disparussent tous les jours. En même temps, était-ce si fou ? Au vu des événements des derniers jours, pas tant que ça. Il fallait bien reconnaître que tout avait un parfum d’irréel, et le séisme qui, l’avant-veille, avait fait trembler les murs des plus imposants bâtiments de la ville, y était probablement pour quelque chose. En fait, il y avait tant à gérer que Faustus se convainquait progressivement que son supérieur ne serait non seulement pas d’humeur à entendre son récit, mais qu’en plus il n’en n’aurait rien à faire. Qu’était-ce donc que la disparition d’un corps quand plus de cent autres s’étaient fait la malle deux jours plus tôt ? Qu’est-ce qui empêchait Faustus de prendre la fuite immédiatement, ce qu’avait lucidement fait celui avec qui il devait garder la salle mortuaire ? Rien, sinon un sens du devoir qui, en d’autres moments, l’eût honoré. Et c’était ce sens du devoir qui le forçait à rester planté là, attendant toujours que la porte massive qui fermait le bureau de son capitaine ne s’ouvrît.
Et toujours au cœur cette angoisse de ne pas savoir qui était ce capitaine. Pour une remarque malheureuse, son prédécesseur avait été renvoyé sans ménagement par l’administrateur d’Ariel. Il faut dire que, après l’avoir négligée, ce dernier semblait prendre cette affaire à cœur : écoutant les conseils des autorités parallèles (dont Faustus se serait volontiers débarrassé), il avait posté ces deux gardes devant la tombe du meneur des rebelles, pour une durée possiblement renouvelable de trois jours. Faustus avait détesté se sentir l’employé de ces petits potentats locaux qui, eux, semblaient se faire une joie de commander aux deux soldats.
Autant de pensées qui n’amélioraient pas sa situation. Impossible d’expliquer la disparition de ce corps. Il se repassait en boucle les dernières heures et ne trouvait aucune justification plausible, convenable. À vrai dire, il était si désemparé qu’il n’avait même pas eu la force de retenir les illuminées venues adorer le corps sans vie, désobéissant ainsi aux instructions. De toute manière, ces femmes-là avaient dû être déçues puisque le constat fait était rigoureusement et malheureusement le même : sans raison, le corps avait disparu.
Faustus en était là du flux de ses angoisses quand le serviteur du capitaine lui indiqua qu’il allait être reçu. Au moment d’entrer dans le bureau, le jeune soldat se dit qu’on n’avait sans doute pas fini d’en entendre parler, de ce Jésus.
‘Un cœur de pierre’ par Sofia Ben Naceur-Beaud, Lycée Thiers, Marseille (2e prix – Enseignement supérieur)
Je sentais encore ses mains ardentes sur ma peau. La pression qu’il eut exercée avait laissé des traces roses autour de mes poignets endoloris. Prise de spasmes, je peinais à respirer. De chaudes larmes coulaient à flots sur mes joues et arrosaient le sol du temple. Je n’avais pas attendu qu'il se fût évaporé pour prier à voix basse le secours de ma déesse. Mes pleurs et mes hurlements résonnaient, à présent, entre ces murs. Je m'époumonais, j’exprimais ma souffrance, mon impuissance, mon injustice. Je n’étais plus maîtresse de mon corps, possédé par un autre, rendu inerte par l'immobilisation et la pénétration. J’avais observé cette scène, comme sortie de moi-même. Mon sang s’égouttait sur le marbre blanc, dilué dans mes larmes.
Une voix féminine tonna tandis qu’une silhouette se dessinait dans une lumière resplendissante :
« Neptune, puisses-tu être puni pour cet outrage ! »
Minerve se manifestait enfin, sous sa forme humaine : une sublime femme brune aux yeux gris. Elle s'était parée d'une longue toge blanche et portait une lance, un casque et un bouclier à l'effigie d’une chouette. Je me prosternai et demandai en étouffant un sanglot :
« Je t'en supplie, venge cette injustice !
- Tu as brisé ton vœu de chasteté, tu as profané ce temple et tu m’as offensée en t'accouplant avec mon rival. Et tu seras punie pour cet affront. »
Je m'assis sur mes talons et croisai son regard sévère. Mes larmes, séchées par l'apparition divine, s’écoulèrent de nouveau tandis que, baissant la tête, je bafouillai :
« Mais, ma déesse, c’est… c’est…
- Arrête donc. Je n’ai pas de temps à perdre avec une fausse dévote de ton genre. Je dois tout d’abord te trouver une punition infâme.
- Vous souhaitez me punir, m'indignai-je, alors que le seul coupable, c’est Neptune !
- Voyons, tu t’es donnée à lui, dit-elle en soufflant et en levant les yeux au ciel.
- C’est faux ! J’ai… c’est – c’est lui… il s’est jeté sur moi… et c’est – c’est là qu’il…
- Qu’il t’a déviergée. Je sais. »
Je me mis, non sans mal, debout sur mes deux jambes tremblantes. Elles avaient du mal à me soutenir après cet acte inexcusable et devant le courroux de la divinité. Même sous sa forme humaine, Minerve me dépassait. Levant mon visage vers le sien, je lui criai sous l’émotion :
« Vous savez ! Vous savez ! Eh bien, si vous savez, pourquoi m’incriminer ? Pourquoi faire porter la faute sur moi, qui n’ai rien pu faire si ce n’est pleurer et prier pour que cela cesse.
- Très exactement, tu n’as rien fait. Tu as laissé Neptune, mon rival, prendre ta virginité dans mon temple. »
La voix de la fille de Jupiter gronda et raisonna dans tout le bâtiment. Elle m’oppressait, comme le corps du dieu pressé contre moi m’opprimait plus tôt. Mes pleurs redoublèrent tandis que j’objectai d’une voix se voulant forte et articulée :
« Je n’ai pas brisé mon vœu de chasteté !
- Tu l’as fait.
- Pas volontairement ! C’est Neptune qui– c’est lui le seul responsable !
- On ne peut pas dire que tu ne te sois vraiment défendue…
- Comment résister à un dieu ? Comment le non étouffé d’une humaine peut-il persuader le roi de l'eau et des océans, Neptune, de cesser son affront ? Je n’arrive même pas à me faire entendre par ma déesse à qui j’ai cependant dévoué corps et âme ! »
Nos regards se croisèrent : le mien implorant la pitié et le sien, d’une froideur inflexible. Elle reprit d’une voix calme et posée, sans aucune once d’empathie :
« Méduse, si tu ne leur dis même pas clairement non et ne te débats pas…
- Je tremblais, je gémissais et je suppliais, la coupai-je. Comment ne pas voir que je ne désirais pas cette union ?
- Les dieux ont des besoins. Tu aurais dû faire attention.
- C’est à moi de faire attention ? Je suis la victime, cependant, c’est moi que l’on accuse et punit. Les hommes, si on leur avait appris à respecter la volonté de la moitié de l’humanité, sauraient contrôler leurs pulsions. Les dieux doivent se rendre compte que nous autres, femmes, humaines, nous ne sommes pas des objets de leurs désirs et qu’ils ne peuvent pas disposer de nous à leur gré. Ô Minerve, déesse de la sagesse, vous êtes une femme, vous pouvez comprendre cela ! Vos propres frères vous ont déjà poursuivie même si vous souhaitez demeurer une déesse vierge. Vulcain, par exemple ! N’êtes-vous pas lasse de ce monde régi par des dieux et des hommes ? »
Face à mon discours, la déesse resta de marbre. Je continuai mon plaidoyer :
« Ma déesse, pourquoi ne pas voir que, quoique l’on fasse, ce sont toujours les femmes qui sont calomniées pour les fautes des hommes ou des dieux ! Le courroux de Junon ne s'abat-il pas toujours sur les maîtresses, souvent non consentantes, de Jupiter ? Vulcain, a-t-il demandé son accord à Vénus quand il exigea sa main ? Tous les mythes et toutes les histoires que l’on nous raconte ne sont celles que l’instrumentalisation ou la possession de la femme par les dieux ou lesdits héros ! Nous, pauvres femmes, nous ne sommes que l’objet de leur désir qu’ils acquièrent de force, ou un tremplin pour atteindre leur objectif ! Le destin des femmes est dicté par les hommes. Pensez à la pauvre Proserpine enlevée par Pluton. Si même nous, nous ne restons pas soudées, comment espérer se défendre face aux dieux ?
- Il suffit. J’en ai assez entendu.
- Ma déesse, tentai-je.
- Je vais en finir maintenant.
- Je vous en supplie, ma déesse. N’est-ce pas assez d’avoir été… violentée ? J’ai été poursuivie par Neptune, j’ai cru trouver une protection dans ce temple auprès de ma chère déesse. Cela ne l’a pas arrêté. Vous n’avez même pas écouté mes prières, vous n’êtes pas intervenue. Et à présent, vous souhaitez me punir. Vous m’accusez d’avoir souillé ce lieu sacré ? Qu’est-ce qui atteste que c’est moi la seule responsable dans cette histoire ?
- Tu aurais dû te couvrir et repousser fermement ses avances dès le début. Tu lui as fait croire qu’il avait une chance.
- Mais non ! Je... je ne vois pas en quoi ma tenue et mon attitude fuyante seraient une invitation. Je ne saisis pas la raison de… Il semble que mon seul péché soit d’être séduisante.
- Voyons, tu l’as invité à te suivre ici ! Et vous vous êtes accouplés sous mon autel.
- J’AI ÉTÉ VIOLÉE ! hurlai-je. »
Mon cri retentit dans tout le temple. J’avais réussi à le nommer. L'écho me fit prendre conscience de ce qui m'était réellement arrivé, comme si une autre personne me le confirmait. Ces mots avaient absorbé toute mon énergie restante, je m’écroulai au sol et en larmes. À genoux devant Minerve, dont l’insensibilité semblait avoir été ébranlée, je poursuivis dans un murmure presque inaudible :
« Ô Minerve, aie pitié de ta fidèle. Vous, qui vous êtes pourtant opposée maintes et maintes fois à Neptune, ne concentrez pas votre colère sur sa victime. »
Les sanglots me prenaient de l'intérieur et semblaient vouloir sortir. Mais, je sentis bientôt autre chose bouger dans mon ventre.
« Tu es enceinte, proclama-t-elle.
- Quoi !? C’est impossible ! Je… »
Je levai mes yeux vers Minerve, son visage s’était fermé de nouveau. Je descendis mon regard sur mon ventre et y posai doucement ma main. Un coup me fut rendu. Je faillis m’évanouir. Je courus et vomis dans une jarre.
« Je ne peux pas laisser ces monstres sortir, déclara-t-elle. »
Je me retournai, toujours au sol. Celle-ci s’avança lentement vers moi. Son ombre emprisonnait à présent mon corps frêle à ses pieds.
« Enlevez-les-moi, la suppliai-je.
- Je ne peux pas faire ça.
- Pourquoi ? Ce ne sont pas mes enfants ! Je n’en veux pas. Je ne suis même pas encore une femme. Comment un enfant pourrait-il en éduquer un autre ? Comment pourrais-je mettre au monde et élever les fils de mon violeur ?
- Je ne peux pas les anéantir.
- Ce ne sont encore que des fœtus ! Sauvez-moi la vie ! Je vous en supplie ! Protéger cette pauvre enfant à vos genoux !
- Non.
- Je vous en supplie ! Je les sens déjà se développer en moi et je n'ai qu’une envie : me trancher la gorge pour les faire sortir. »
Elle m’examina d’un œil sévère tandis que je hoquetais.
« Prépare-toi pour ton châtiment, proclama-t-elle. »
Mes hurlements et mes pleurs n’y purent rien. Elle me pointa du doigt et proféra :
« Méduse, je te condamne pour avoir profané mon temple et brisé ton vœu de chasteté. Toi qui fus toujours adorée pour ta beauté, tu ne pourras plus charmer les hommes avec ta jolie chevelure. Est-ce que tu sens tes cheveux se transformer ? Entends-tu le sifflement ? Les sens-tu se dresser ? Passe ta main dans ta douce chevelure, tu ne sentiras que des écailles lisses et froides ! Voilà, tu révèles ta vraie nature : un monstre. Tes beaux yeux clairs ont souvent fait chavirer le cœur des hommes. Maintenant, tu ne pourrais plus croiser le regard d’un être sans qu’il soit changé en pierre. Aussi, tu ne pourrais pas enfanter. Ces deux êtres restent en toi jusqu’à ta mort. »
Au fur et à mesure qu’elle prononçait sa sentence, je sentais mon corps muer. Je pliais sous le poids de ses paroles et la douleur de la métamorphose. De nouveau dépossédée de ma chair et de ma volonté, fixant le sol froid et humide, je murmurai :
« Et le vrai coupable reste impuni.
- Comme toujours, c’est moi que l’on fait passer pour la méchante, souffla-t-elle.
- Vous avez institué la justice, mais n’êtes même pas capable de l’appliquer. »
Je secouai la tête en riant, les larmes aux yeux. Soudain, la porte du temple s’ouvrit et deux silhouettes apparurent dans la lumière du jour.
« Méduse ! appelèrent deux voix féminines.
- Nous savons qu’un homme t’a pris ta virginité, expliqua la plus jeune. Ne te cache pas de nous. Ce stupide vœu de chasteté importe peu.
- Ne vous approchez pas ! criai-je en fermant douloureusement les yeux.
- Euryale et Sthéno ! s’exclama Minerve. Quelle surprise ! Voici tes sœurs ! »
Les pas ralentirent puis s’arrêtèrent. J’entendis soudain des cris. Je ne pus m'empêcher d'ouvrir les yeux. Je pensais qu’elles avaient eu peur de mon aspect monstrueux. Mais je découvris avec horreur qu’elles avaient été aussi transformées. Elles avaient des ailes dorées et des serpents à la place des cheveux. Des défenses de sangliers avaient poussé sur leur doux visage. J’étais sous le choc, totalement paralysée. Aucun son, prière ou supplication, n’arrivait à sortir de ma bouche. Je ne pus qu’attraper la toge de Minerve. Cette dernière expliqua :
- J’ai pensé que ne te laisser aucune compagnie était trop cruel. Voyons, je t’ai fait des faveurs : tu ne seras plus jamais violée, je protège aussi tes très chères sœurs de ce terrible sort et tu n’auras pas à élever les enfants de ton agresseur. Alors, accorde un peu plus de reconnaissance à ta chère déesse. »
Des siècles passèrent, dans une solitude presque complète et une immense haine. Je détestais mon corps qui n’était plus le mien, dépossédé par un dieu, transformé par une déesse, jouet de la société divine. Je détestais le monde humain qui m’entourait et qui m'attaquait régulièrement pour de stupides quêtes dans le but d’affirmer leurs valeurs masculines. Je détestai les enfants de Neptune qui se développaient et m’oppressaient de l'intérieur comme pour me rappeler constamment l’intrusion de leur père. Quelle formule absurde que ‘porter la vie’ quand le jour où ces êtres furent conçus signifiait ma mort !
Je passais des heures à regarder mon reflet dans l’eau en espérant que mon pouvoir marcherait enfin sur moi. Puisque ma mort était nécessaire pour retirer ce qui grandissait en moi, j’attendais mon trépas avec impatience. Seulement, mes sœurs mettaient, elles, toute leur force pour me garder en vie.
Un jour, Persée m’attaqua quand les deux gorgones dormaient. Il m’observait par le reflet de son bouclier en bronze. Je vis qu’il allait résolument me trancher la tête.
Je devais réfléchir, faire quelque chose. Mais quoi ? J’avais espéré ce moment. La mort serait une libération. Je fermai les yeux, tendis mes mains et offris mon cou à cet homme. Je choisis de faire confiance à sa lame. Je ne sentis rien, pas la moindre douleur, juste de la chaleur. Jamais je n'aurais imaginé que la mort puisse être si douce.
‘TITANOMACHIE : chapitre 2’ par Auguste Lassère, Lycée Camille Jullian, Bordeaux (1er prix ex-aequo – Enseignement secondaire)
Cela fait des semaines que ça dure : il ne mange plus, ne vit plus, ne tempête plus, ne court plus le guilledou : Zeus est prostré, muet, passif et Héra, d’habitude indifférente, commence à s’inquiéter : qu’arrive-t-il au père des dieux ? Elle ne l’a jamais vu aussi amorphe, lui qui remue les cieux et la terre grecque de toute son énergie et de tous ses caprices… Elle l’a même entendu murmurer dans sa barbe : « Je vais prendre ma retraite… comme les humains, je ne suis bon à rien, je ne vaux rien, je suis devenu une loque, je perds mes cheveux, les poils de ma barbe, je n’ai plus la force de me mettre en colère, mes yeux ne me servent plus, je ne m’intéresse plus à rien ni à personne, aucun berger, aucune bergère… ». Héra a sursauté : Zeus est en pleine dépression !
Elle voit tout de suite les conséquences : plus d’arbitrage entre les dieux, un monde désorganisé. Que deviendront la terre et les hommes ? Elle doit demander conseil. À qui ? La sage Athéna, la fille préférée de Zeus qui détient toute l’intelligence du monde par sa mère, Métis, et sa force par son père, celle qui a su combattre contre les Géants venus à l’assauts de l’Olympe ? Si elle a sauvé Zeus une fois, elle doit pouvoir le sauver encore, et de lui-même cette fois-ci.
Athéna réfléchit avant de lancer : « Eureka ! La bonne chère ! Tous les hommes y sont sensibles : les dieux comme les mortels ! Les occasions ne manquent pas d’organiser un festin et de flatter son estomac.
- Héra intervient : Excellente idée, demandons conseil à Dionysos… c’est son domaine
- Ah non, tranche Athéna, Dionysos est un sauvage, un type pas très net, toujours entre deux vins et un mangeur de viande crue. On raconte qu’il ne fait pas de différence entre viande animale et viande humaine. Tout lui est bon ! Il ne mange pas, il baffre, il bouffe… et ces Ménades qui l’entourent sont des folles furieuses avec leurs cris et leurs danses échevelées ; Avec Dionysos, pas moyen de dîner tranquille et de déguster en paix mets et ambroisie ! Il faudrait quelqu’un de plus civilisé, de plus raffiné comme Amphitryon dont il a apprécié l’hospitalité…
- C’est surtout sa femme, Alcmène, qui lui a fait de l’effet ! Mon mari, le roi des dieux, séduit à tout va… évitons les festins et leurs dérapages.
- Une rencontre sportive alors ? Des jeux pour le réveiller ? Il aime bien cela d’habitude… Il suit tous les exploits des athlètes, les lutteurs, les lanceurs, les auriges…
- Oui, s’exclame Héra, envoyons le se frotter contre Héraclès, celui que mes serpents n’ont pas pu étouffer. Pour le secouer, cela le secouera !
- Impensable, jette Athéna, cela pourrait dégénérer, Héraclès ne mesure pas sa force !
- Qu’il affronte Arès alors ! Arès est de la race des vaincus, celui qui provoque rires et moqueries. C’est sans risque pour Zeus.
- Mais sans intérêt! Courir en défiant Hermès serait spectacle plus noble !
- Perdu d’avance : Hermès est le dieu aux sandales et à la chevelure ailées… Le but est de ranimer Zeus, pas de l’humilier ! Organisons lui plutôt une course de chars : Zeus adore la vitesse !
- Il ne voudra pas rivaliser avec Apollon, le plus beau de ses fils, invincible avec son char solaire.
- Et une partie de tir à l’arc ? Artémis serait partante, elle qui ne quitte ni ses flèches ni son carquois… Mais une simple partie de chasse serait-elle assez stimulante ? Voudra-t-il se lever ? Sortir ? Pas certain dans son état actuel. Il est tellement prostré !
- Bien sûr, commente Athéna rêveuse, je peux aussi défier mon père aux échecs… Il est assez roublard pour y trouver du plaisir.
Héra secoue la tête : « Zeus a trop l’habitude de tricher et tu n’y verrais que du feu ! Cela pourrait l’amuser une heure ou deux, pas plus. Son état nécessite un vrai choc ! Connaissant mon mari comme je le connais de toute éternité, ce qui peut le réveiller plus sûrement, c’est un joli minois inconnu, une vierge bien gardée dont la conquête difficile l’obligerait à imaginer une de ces ruses dont il a le secret !
- Je suis fatiguée de toutes ces coucheries, de ces histoires familiales à n’en plus finir. J’ai déjà une ribambelle de demi-frères et de demi-sœurs ! Jalousies et embrouilles assurées ! Zeus lui-même n’est-t-il pas épuisé par toutes les contorsions qu’il s’inflige pour approcher d’autres femmes que toi, divine Héra : tantôt taureau blanc, tantôt aigle ou autre animal fabuleux… N’hésitant même pas à prendre l’apparence de sa propre fille Artémis pour s’introduire dans l’intimité de la belle Callisto ! Quelle famille ! Parfois j’en ai honte…
- Zeus me sait jalouse ! Il essaie de ruser et de cacher ses écarts de conduite en métamorphosant ensuite ses conquêtes en victimes : la pauvre Callisto est devenu une ourse et Io, une génisse… Comme si je ne voyais pas ce qu’il trame ! Avant et après ses exploits !
- Nous faisons fausse route, alors ! Repérer, traquer, séduire, c’est de la routine pour mon père. Il faut imaginer un remède plus puissant à l’apathie qui l’accable ; quelque chose qui le pique au vif ; solliciter non ses sens mais son orgueil, lui montrer sa souveraineté divine en danger. Provoquer la colère de Zeus : qu’il brandisse sa foudre... !
- Héra se fait songeuse : oui, lui désigner un rival à sa mesure, pas dans le domaine des amours où il triomphe toujours, dans la direction des mortels et des dieux… Une sorte de rival politique ! J’en connais un, Jupiter qui ne perd pas son temps à courir les jupons mais impose à tous crainte et soumission.
- Jupiter ! Athéna se frappe la tête : c’est une idée géniale, un combat des chefs ! Comment faire ?
Je vais consulter Junon ; c’est une vieille copine, pleine de sagesse. Elle sait comment manœuvrer son mari. Mais je ne sais pas si elle acceptera de marcher dans notre combine. Elle a un sacré caractère !
- Le tien n’est pas triste non plus ! Que veux-tu au juste ? Ecraser Jupiter pour un triomphe de Zeus ? Cela risque de provoquer une guerre entre Grecs et Romains. Souviens-toi des guerres médiques entre les perses et les grecs.
- Je ne veux pas aller jusqu’à une solution aussi radicale. Juste un affrontement entre deux orgueils, entre deux chevaux de race… Je ne veux pas forcément que Zeus l’emporte mais qu’il réagisse, que récupérions un Roi du Ciel sûr de lui, actif, se mêlant de tout, Zeus, quoi ! Je vais expédier Hermès auprès de Junon avec la mission de lui faire envoyer un message méprisant du style : « il n’y a pas la place pour deux volontés suprêmes dans les Cieux. Les mortels ne savent plus à quels dieux se vouer et l’univers ne tourne plus rond… Range tes dieux romains et soumets toi à mon autorité… Sinon… »
- Sinon quoi, Héra ?
- Je n’en sais rien. On verra. C’est juste un chiffon rouge que je veux secouer sous le nez de Zeus ! Mais je vais demander à Junon de ne surtout pas déléguer Venus pour cette intervention : Zeus ne verrait que Vénus et pas le chiffon rouge ! Si nous réussissons, Zeus deviendra fou furieux… et bien vivant enfin !
- Un choc qui va déclencher des forces inconnues… J’ai peur, Héra, des suites de notre complot …
- Toi, Athéna, avoir peur ! Impossible… Tu es la plus forte de nous tous !
- Je suis aussi, murmure Athéna, la plus sensée et je commence à douter sérieusement de notre entreprise. »
Hermès parti avec des instructions précises, Athéna s’inquiète au fil des jours, en proie à des pressentiments néfastes : Défier Jupiter, même quand on est Zeus, c’est se jeter dans l’inconnu le plus total…
À son retour, Hermès est sombre ; Comme prévu, Jupiter s’est déchainé : « Quelle mouche a piqué Zeus ? Son hubris le submerge… Zeus n’est qu’un orgueilleux, un tyran indigne ! Moi, Jupiter, son second ? Ridicule, impensable. Ah ! Il veut la guerre ! on va voir ! Il va l’avoir, cet imprudent ! »
Et Jupiter laisse libérer sa foudre : les cieux s’assombrissent, la terre tremble, les rivières débordent, l’océan gronde. C’est un vacarme tel que toute la Grèce est bousculée, Zeus lui-même s’alarme. Le plan d’Héra fonctionne puisque Zeus tempête à son tour contre cet avorton latin qui ose lui tenir tête… Fureur, chaos, boucan gigantesque. Zeus est bel et bien réveillé, sorti de son apathie ; mais un autre l’est aussi, atteint jusqu’au Tartare : Kronos sort de sa prison infernale, en grondant terriblement ; « Je vais finir mon travail : Je vais manger ce Zeus que Rhéa a sauvé en me trompant avec une pierre entourée d’un lange… » Il rit et son rire est farouche. Revenu à l’air libre, Kronos reprend son festin divin : Il avale Zeus et en suivant, tous les dieux de l’Olympe…
Et, pour faire bonne mesure, sans même se déplacer, encore en appétit il avale Jupiter et tous les dieux romains. Les dieux ont disparus, les cieux sont vides. Kronos triomphe. C’est lui le maître du monde ; qu’on se le dise : le Temps dévore dieux et mortels en les précipitant dans l’oubli.
Moralité, nul ne peut échapper au Temps. Le Temps règle tous les problèmes d’une manière ou d’une autre. Il guérit les états d’âme, il offre des solutions, il impose, il tranche. Il suffit de laisser le sable s’écouler.
‘Prémonition’ par Mathilde Bonnardot, Puy du Fou Académie (1er prix ex-aequo – Enseignement secondaire)
« Père, père !!! »
Un éclair de boucles brunes passa en flèche dans le grand couloir du palais de Thèbes. Le petit ouragan se déplaçait avec une rapidité surprenante de salle en salle. Doué de parole, il répétait avec indignation : « Père, père !!! J’en ai assez !»
Œdipe semblait pensif, il allait encore devoir régler ce problème de sénateurs… Les mains derrière le dos, il marchait de long en large devant sa table de travail, sa carrure athlétique voutée comme sous l’effet d’une charge trop importante ; les muscles de son visage, crispés, laissaient entrevoir une infime parcelle de l’activité cérébrale à laquelle il se livrait. Ses sourcils s’étaient froncés sous l’effort mais malgré cette attitude d’intense concentration, le roi de Thèbes resplendissait de jeunesse et de vigueur. Son front où s’égayaient quelques mèches d’un brun presque noir, était ceint d’un diadème d’or ouvragé de motifs grecs. Sa peau que les longues chevauchées sous le soleil du pays avaient dorée, était rehaussée par la blancheur de sa tunique. On ne voyait qu’honnêteté et intelligence dans son regard d’un vert profond. Le rejeton des Labdacides était la fierté de sa ville tant aimée et à elle tout dévoué. Seules ses chevilles lui portaient préjudice : jamais il ne pouvait marcher longtemps et encore moins courir sans souffrir horriblement …
Soudain, il fut tiré de ses pensées par la petite tornade qui arrivait droit sur lui en criant :
« Ah père vous voilà enfin ! Vous allez pouvoir punir cet insolent que voilà et … »
Devant ces paroles tempétueuses, Œdipe fut d’abord interloqué puis une lueur d’amusement passa dans ses yeux. Ce petit éclair n’était autre qu’une adorable fillette de cinq ou six ans, à peine plus haute que son bureau. Son joli minois aurait attendri les guerriers les plus endurcis, mais à cet instant il avait pris la couleur des tentures pourpres de la pièce. Rouge de colère et d’avoir tant couru, les mains sur les hanches, bien campée sur ses deux jambes, elle regardait son père avec une mine outrée des plus attachantes.
« Antigone ! répondit-il, combien de fois t’ai-je dit de ne pas entrer ici quand je travaille sans en avoir l’autorisation ! ».
A ces mots, il ne put s’empêcher de repenser avec tendresse et nostalgie à son enfance au palais de son père Polybe… Cette phrase qu’il répétait à son tour, combien de fois l’avait-il entendue…, elle lui ressemblait tant sa petite fille : vive, impétueuse mais pourvue d’un grand courage. Quel sera son avenir ? Seul Zeus devait savoir… Un jeune garçon un peu plus âgé qu’Antigone, les cheveux de jais devant les yeux, arriva tout essoufflé en se tenant les côtes. Cette dernière s’écria alors, le pointant d’un doigt accusateur :
« Ah voilà ce traitre qui … » elle n’eut pas le temps de finir sa phrase car son père la coupa avec un ton sévère :
« Polynice ! Antigone ! voulez-vous m’expliquer ce que cela signifie ? »
« Ce n’est pas moi qui…enfin c’est elle qui… » tenta Polynice.
« Père ! Polynice ne m’a pas secourue alors que l’horrible chien de Pélopidas allait me dévorer ! Il s’est enfui comme un lâche et m’a laissée seule. Il mérite une bonne correction ! »
Elle avait dit ces phrases avec l’autorité d’un chef de guerre réprimandant un soldat et Œdipe se vit contraint de mettre un terme à cette nouvelle tyrannie.
« C’est moi qui déciderai si Polynice doit être puni, jeune fille ! en attendant, je vais vous raconter une histoire pour que vous compreniez quelque chose d’important et cessiez de vous battre. La guerre détruit les familles et l’amour fraternel est sacré. »
Une histoire !!! et contée par leur père ! les deux enfants étaient aux nues, cela était si rare.
« Cher papa merci, merci, merci !!! » répétait Antigone un grand sourire aux lèvres, semblant déjà avoir oublié sa querelle. Quant à Polynice, il regardait son père avec une admiration béate ! Il était en cet instant aussi grand que les immenses statues de ses dieux préférés siégeant fièrement dans l’Acropole. Il savait si bien raconter, faire vivre les personnages et les paysages ! Avec lui, ils voyageaient dans un monde sans frontières peuplé de nymphes, de héros et d’exploits, au rythme de sa voix chaude et enveloppante. Œdipe était heureux de faire plaisir à ses enfants, il les voyait si peu… C’était sa façon de les éduquer et de les préparer au rôle qui serait bientôt le leur. Cela allait arriver si vite qu’il ne voulait pas perdre le bonheur de les voir encore s’ébattre avec insouciance dans les joies de l’enfance. Ses problèmes attendraient ! Il saisit avec douceur les petits doigts des êtres qui faisaient toute sa fierté et les mena sur la grande terrasse. De là-haut, on pouvait contempler la cité illuminée et l’immensité du ciel d’où commençaient à poindre des myriades d’étoiles. Quelque part au sud devaient briller Orion et la Pléiade… Les derniers rayons du soleil embrasaient le ciel de leurs feux éclairant dans un dernier soupir les arcades sculptées de la grande balustrade. Les enfants accoudés contemplaient la ville étalée à leurs pieds : « Leur ville ». Ils allaient bientôt devoir en assurer la défense et le gouvernement, cette ville qu’ils allaient devoir aimer jusqu’au bout comme l’un des plus beaux bijoux de la Grèce. Qu’allait-il advenir de la belle cité jadis fondée par Cadmos ? Berceau des Spartoi, grande région de la Béotie, quel sera ton destin ? Là-haut sur l’Olympe seul Zeus devait savoir… Ainsi songeait Œdipe en faisant assoir Antigone et Polynice sur une méridienne chamarrée : l’histoire pouvait commencer…
« Il y a des lunes de cela » commença-t-il, « Atlas venait de recevoir la Terre sur ses épaules. Prométhée avait donné aux hommes le feu sacré, leur permettant de bâtir, de construire, d’inventer et de créer tels que les dieux. Un jour, il advint qu’Inachos, fondateur et roi de la cité d’Argos décida de faire donner une fête en l’honneur des dieux : il invita toutes les divinités et plusieurs rois d’autres contrées. Le souverain de notre ville, Cadmos, et sa fille la princesse Agavé s’y rendirent. Zeus et Héra arrivèrent les premiers, resplendissants dans un char orné d’épis d’or. Arès tout flamboyant et portant ses armes se présenta ensuite, devisant avec son frère Héphaïstos de ses nombreuses victoires. On attendit les nymphes des forêts plus longtemps mais elles finirent par arriver, superbement parées, suivies des muses et d’Apollon resplendissant. Athéna, enfin, fit l’honneur d’être présente accompagnée par Artémis et Hermès chaussé de ses sandales ailées. Tous plus ou moins heureux de se voir faisaient l’effort de se montrer affables : « Comment vous portez vous mon cher frère ? Votre tenue est merveilleusement foudroyante » ; « Et bien, cher père, comment va notre mère, pas de nouvelle colère à propos de vos conquêtes ? ». On avait gracieusement laissé Hadès à ses enfers et Poséidon dans la mer et l’on n’espérait plus personne. Cependant… Avez-vous deviné, mes enfants, qu’il manquait quelqu’un à ces réjouissances ? Quelqu’un qui préfère être admiré plutôt qu’oublié… »
« La belle déesse ! s’écrièrent en cœur Polynice et Antigone. »
« Oui ! répondit leur père, Aphrodite la déesse de l’amour, la plus belle femme au monde… après votre mère bien sûr ! Et vous vous en doutez, à cet instant elle se trouvait dans une colère noire des plus effrayantes : « Comment ont-ils pu m’oublier ! Quelle insolence ! Moi qui suis toujours la première invitée sur les listes ! ils ont omis d’inscrire mon nom ! Ah la belle impertinence ! Ils me le paieront ! Ils verront ce que c’est que de me provoquer. » Sur ces mots pleins de rage elle jura de punir Inachos et de ternir sa réputation auprès des dieux. Le pauvre maître de maison ignorait tout des projets de la déesse et personne ne s’était aperçu qu’elle était absente. La fête ponctuée de danse et de chant se déroulait à merveille dans son vaste palais. L’atmosphère s’était à peu près détendue et un sourire ornait tous les visages. Du sarcastique au coincé, du détendu au forcé, chacun se laissait prendre au jeu. Le banquet touchant à sa fin, les invités s’étaient rassemblés dans la cour pour jouir de la vue céleste de la lune. Soudain Inachos remarqua l’une des jeunes filles couronnées de fleurs dansant dans la pâle lueur vespérale. Qui était-elle ? Ne pouvant détacher son regard de cette belle vision, il tentait de se raisonner. « Tu t’égares mon pauvre ! Le vin t’aura monté à la tête… » Mais plus il tentait de ne plus y penser, plus une idée insensée s’imposait à lui… « Je ne peux faire cela ! Je trahirais mes amis et les lois de l’hospitalité si chères aux dieux ». Pourtant, vous avez deviné : il le fit, poussé par une personne qui se faisait une joie de lui porter préjudice ! Se glissant dans les jardins alors que la jeune fille buvait à une fontaine, aidé par l’un de ses gardes, il l’enleva et l’enferma dans une pièce secrète de son palais. On chercha partout la princesse mais en vain…Cadmos éploré allait et venait, désespéré. Inachos n’était plus lui-même et feignait d’être très affecté lui aussi. Les invités se séparèrent, on n’avait pu hélas demander à Apollon d’exercer son don de divination, il se trouvait déjà au pays des rêves sous l’effet du jus béni de la treille dont il avait sans doute quelque peu abusé. Cadmos en rentrant à Thèbes fit venir son fils Phoronée près de lui en lui faisant promettre de retrouver sa sœur. Ce dernier se trouvait devant un dilemme embarrassant…
Œdipe se tourna vers ses enfants totalement captivés : « Vous n’êtes pas trop fatigués ? Je peux m’arrêter si je vous ennuie… ». « S’il te plaît papa, continue !!! » s’exclamèrent-ils. « Bon et bien si vous y tenez tellement…, Phoronée, en plus d’être studieux (ce sur quoi vous devriez prendre exemple), tirait merveilleusement à l’arc. Le lendemain de l’enlèvement de sa jeune sœur, il était convié à un concours de tir regroupant les meilleurs archers du pays. Il s’y préparait depuis très longtemps et comptait bien s’illustrer en gagnant ! C’était la chance de sa vie. Qu’auriez-vous fait à sa place ? »
« J’aurais secouru ma sœur car c’est un devoir plus grand de sauver sa famille » répondit Antigone.
« Et moi, dit Polynice, j’aurais été gagner le concours pour inscrire mon nom dans la lignée des héros. »
« Ah le traitre qui ne vient pas en aide à sa sœur ! s’écria Antigone. Pour être un héros, il faut d’abord respecter son sang » asséna-t-elle.
« Antigone a raison, Phoronée choisit de sauver son honneur en même temps que sa sœur. Prenant son arc, il chevaucha toute la nuit afin d’arriver chez Inachos au lever du jour. « Pour retrouver ma sœur il faut que je parte de l’endroit où elle fut enlevée, je demanderai des renseignements au maître de maison » se dit-il. Il fit le tour de la demeure et rentra par les jardins. Soudain le vent lui apporta quelques bribes d’une chanson douce et triste. « Qui chante ainsi ? » se questionna le jeune homme. S’approchant d’une fenêtre, quelle ne fut pas sa surprise d’apercevoir la silhouette de sa sœur dans l’embrasure. Aussitôt, ajustant une flèche il entra dans le palais et blessa tous les gardes postés devant la chambre d’Agavé. Sa sœur se jeta à son cou en pleurant de joie. Inachos puni par les dieux fut transformé en Fleuve. Quant à Phoronée, Zeus lui fit don d’une intelligence bien supérieure aux autres hommes, il inventa les tribunaux et régna avec droiture. Voilà mes amours, mon histoire est terminée…Souvenez-vous que l’honneur, le devoir et l’amour doivent toujours régner entre vous. Le lien du sang est sacré et honte à celui qui le déshonore… »
Se taisant, il eut juste le temps de recueillir comme un trésor les dernières paroles de ses enfants avant qu’ils ne s’endorment blottis l’un contre l’autre : « Je te protègerai toujours petite sœur… » « Je t’honorerai toujours grand frère, jusqu’à ta mort et bien au-delà… »
Quel sera leur avenir ? Se demanda Œdipe en les embrassant avec tendresse. Seul Zeus devait savoir. Et là-haut, tout là-haut, sur l’Olympe, Zeus savait…

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2023/05/15 - Les voyages de l'année !

Quelques retours en photo des élèves et de leurs enseignants : SEL est très heureuse d'avoir permis à ces classes de partir à la découverte de l'Antiquité cette année ! Bravo aux professeurs qui font vivre tout cela à leurs élèves et merci pour les cartes postales ! De la Normandie romaine à la Crète en passant par l'Italie et la Provence, voici quelques images venues d'Alsace, de Rhône-Alpes, de région parisienne et des Pays de la Loire !




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2023/05/15 - Résultats du Concours de la Nouvelle

La remise des prix de notre concours de nouvelles a eu lieu VENDREDI 2 JUIN à l'INSTITUT (Académie des Inscriptions et Belles Lettres). Retrouvez les lauréats en image sur la page Concours, ainsi que le texte de leurs nouvelles.
Nous remercions tous les professeurs qui ont inscrit leurs élèves et tous les candidats pour leur nouvelle : nous espérons que certains retenteront leur chance l'an prochain et que d'autres n'hésiteront pas à les rejoindre !

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2023/02/19 - Assemblée générale 2023 - REPORT

Notre Assemblée générale, initialement prévue le samedi 1er avril à Paris, a dû être annulée en raison du contexte social. Nous présentons nos excuses à nos adhérents.
Nous vous tiendrons informés de la date et du lieu du report.

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2023/01/23 - Festival des langues classiques

Nous vous informons de la tenue à Versailles le week-end des 3 et 4 février du Festival des Langues classiques, avec de nombreux événements et activités pour les petits et les plus grands.

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2022/10/21 - Concours !

Le concours de nouvelles Jacqueline de Romilly est ouvert pour l'édition 2023. Plus de renseignements sur la page dédiée.
Par ailleurs, nous relayons plusieurs autres concours pensés pour les collégiens, les lycéens et/ou les étudiants :
- pour les latinistes de 4e, le concours du Calame d'or ;
- pour les lycéens et les étudiants, le concours CICERO, qui s'agrémente cette année d'une option version grecque ;
- le Défi Langue Française, de l'association Du Bellay, pour les spécialistes de l'orthographe ;
- les activités du Festival Européen Latin Grec, mettant l'Enéide à l'honneur ;
- les concours menés par les différentes sections de la CNARELA, par exemple le concours Clic Antik de l'ARELAD ;
- le concours ABECEDARIVM de l'association Arrête ton char ;
- et enfin, n'oubliez pas les extraordinaires activités de l'association Journées Découvrir l'Antiquité, à l'ENS Ulm et hors les murs !
A vous de jouer avec l'antiquité !

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2022/05/18 - Palmarès du concours de nouvelles 2022

Le jury a livré son verdict pour le concours de nouvelles Jacqueline de Romilly, édition 2022.
Sont récompensés :
Catégorie Enseignement secondaire
1er prix : Salomé Frisch, lycée Racine, Paris, pour "De pierre"
2e prix : Victor Lecompte, lycée Paul-Louis Courier, Tours, pour "Le papyrus de Syracuse"
Des accessits ont été attribués à :
Rowane Perrin Dolique, lycée Jacques Prévert, Sanevay, pour "A une condition"
Sofia Ben Naceur - Beaud, lycée Thiers, Marseille, pour "#Narcisse"
Une mention est réservée à :
Claire Plantier, lycée Descartes, Tours, pour "L'ode à l'aimée"
Catégorie Enseignement supérieur
1er prix : Chiara Lombardi, Université Paris Nanterre, pour "Tranche de vie"
2e prix : Candice Fiot, lycée Camille Jullian, Bordeaux, pour "Le Macguffin de l'Immortel"
Des accessits ont été attribués à :
Anne Coudé, lycée Notre-Dame-de-la-paix, Lille, pour "Furor"
Livia Meurisse, lycée Notre-Dame-de-la-paix, Lille, pour "Une mort humaine"
Emma Procureur, lycée Berthollet, Annecy, pour "De ciel et d'encre"
Un message personnel a été envoyé à chaque lauréat et à son professeur pour la cérémonie de remise des prix, le 10 juin à l'Institut.
Le jury félicite chaleureusement tous les participants et se réjouit de la tenue de ce concours.

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2022/04/03 - Concours de nouvelles 2022

Les nouvelles sont actuellement lues attentivement : le jury délibèrera autour du 15 mai pour définir le palmarès. Dès qu'il sera connu, il sera diffusé sur notre site et les lauréats (ainsi que leur professeur) seront prévenus par mail. La remise des prix aura lieu à Paris, à l'Institut, quai Conti, soit le vendredi 10 juin 2022, soit le vendredi 1er juillet 2022. Dès que la date sera déterminée, nous vous la communiquerons.

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2022/02/07 - Assemblée générale 2022

Notre assemblée générale a eu lieu le samedi 2 avril en Sorbonne. A cette occasion, le Conseil d'administration a été renouvelé et un nouveau bureau a été élu. L'association a donc un nouveau président : il s'agit de Marc Baratin, à qui Monique Trédé cède le flambeau. C'est ici l'occasion pour nous de remercier notre présidente pour son travail et son rire communicatif ! Le bilan de l'année 2021-2022 sera envoyé en fin d'année civile.
A la suite de notre AG, nous avons eu la chance d'écouter Paul Demont (professeur de langue et littérature grecques à l'université Paris-Sorbonne, président d'honneur de notre association) sur "Ajax/Aïas de Sophocle, soldat perdu et héros tragique", à l'occasion de la sortie de la nouvelle édition de la pièce de Sophocle aux Belles Lettres. Le texte de sa communication sera bientôt disponible sur notre site.
Vous pouvez d'ores et déjà lire l'entretien accordé par Paul Demont à La Vie des Classiques.
Nous fêterons les 30 ans de l'association, fondée par Jacqueline de Romilly, dont les principes sont toujours d'actualité, le jour de la remise des prix du Concours de nouvelles le 10 juin ou le 1er juillet (date encore à déterminer) à l'Institut. Les adhérents seront chaleureusement conviés à un cocktail.

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2021/11/14 - Texte des nouvelles primées au concours J. de Romilly (édition 2020)

Avec un an de retard en raison de la pandémie de Covid-19, nous avons récompensé les lauréats de l'édition 2020 de notre concours de nouvelles en même temps que ceux de l'édition 2021 et nous publions ici le texte des meilleurs d'entre eux, en les remerciant pour leur patience !
Catégorie Enseignement supérieur
1er prix : Lilou Marbais, Lycée Poincaré, Nancy
Titre de la nouvelle : Anonyme
Les corps jonchaient la plaine, les eaux bouillonnantes du Simoïs se gorgeaient de sang. Si les dieux avaient daigné jeter un dernier coup d’œil en contrebas, tandis qu’ils remontaient vers l’Olympe, armes étincelantes au poing, rassénérés par la promesse d’un long festin, propre à effacer l’éphémère passion que suscitait chez eux la manipulation de leurs jouets favoris, ces si frêles mortels, ils n’auraient vu qu’un lointain amas noir, égayé d’un ruban rouge.
Les corbeaux, eux, descendaient à toute allure, se promettant eux aussi d’appétissantes réjouissances.
Si les héros avaient daigné jeter un dernier coup d’œil en arrière, tandis qu’ils rentraient au camp sur leurs chars flamboyants, armures dégoulinantes du sang illustre de leurs congénères, ce sang qu’épaississait la promesse d’un destin extraordinaire et qui distinguait cette race à part dans l’humanité, la race chantée par les poètes, ils n’auraient vu qu’un camaïeu de teintes sombres et de bronze. Derrière eux, la horde des fantassins survivants clopinait péniblement. Eux n’avaient pas même le luxe de se retourner ; il fallait rentrer le plus vite possible, avant que les blessés qu’on soutenait ou qu’on traînait n’exhalent un dernier râle.
Mais eux gardaient tout en mémoire. Le sol irrigué par le sang séché. Les hampes de lances brisées qui se dressaient fièrement, comme autant de poings vengeurs. Les cuirasses qui réfléchissaient la lumière sanguinolente du soleil couchant, et dissimulaient le vermeil des plaies. Les cadavres enfin, disloqués, entremêlés, abandonnés. On reviendrait leur rendre les derniers honneurs à la faveur de la nuit, lorsque l’urgence et le dégoût des fins de bataille se seraient dissipés. Mais pour l’heure, personne ne venait leur murmurer un mot d’adieu, prononcer une dernière fois leur nom. Seuls les corps princiers avaient déjà été recueillis, pour que tout le monde voie leurs glorieuses dépouilles flamboyer sur les ardents bûchers.
Les simples soldats, peu importait qu’on ne puisse plus les reconnaître. Peu importait que personne ne puisse mettre un mot sur leurs visages ravagés, leurs crânes éclatés, leurs entrailles répandues. Peu importait que personne ne se souvienne de qui ils étaient. Qu’avaient-ils fait, après tout ? Rien de plus, rien de moins que les autres : se battre pour exister. Sur terre ou, avec un peu de chance, si leurs faits d’armes étaient assez remarquables, dans les épopées et les mémoires. C’était la promesse qui compensait les rudesses de la guerre : la belle mort.
Mais ce qu’ils ignoraient, ou feignaient d’ignorer, c’était que les dés étaient pipés. Les Muses ne sélectionnaient que les noms de digne lignée. Et leurs autres demeuraient à jamais les muets, ombres entre les vers, les anonymes. Condamnés à être oubliés.
Lui faisait partie de ces innombrables soldats qui n’accéderaient pas même aux catalogues de héros homériques. Pas même une mention au détour d’un vers. Il était un anonyme, qui boitillait sur le sol rocailleux, soutenu par un camarade et un débris de lance. Il avait perdu son bouclier. Sur ses épaules, sa cuirasse pesait bien lourd. La douleur irradiait à chaque pas dans sa jambe blessée.
Il était un anonyme, qui pourrait remercier les dieux de l’avoir épargné un jour de plus. Qui pourrait espérer, demain encore, rentrer un jour dans sa contrée, ou au moins avoir une belle mort, pour que, là-bas, au pays, on puisse trouver quelque consolation dans le récit de ses hauts-faits. Il était un anonyme chanceux, pour l’instant. La mort infamante, dans l’indifférence générale, l’ultime et honteuse tentative de fuite, le râle terrifié et surpris, tout cela n’était pas encore pour lui.
Mais lui, il avait la rage au cœur. Lui ne murmurerait aux dieux aucune parole de gratitude soulagée, lorsqu’il irait se coucher. Lui veillerait toute la nuit, le visage fermé, immobile et silencieux, une statue de sel.
Chacun de ses pas était une nouvelle torture, mais chacun de ses souffles était une souffrance indicible, une nouvelle épine enfoncée dans son cœur. Chacune de ses respirations était une nouvelle occasion de se souvenir. Il essayait de repousser ces assauts, mais rien n’y faisait. Son esprit était enchaîné au fil des dernières heures, et le vautour de la mémoire revenait inlassablement s’abattre sur lui.
Le matin, à l’aube, derniers préparatifs avant le combat. Aiguiser une dernière fois ses armes, ajuster les pièces des cuirasses. Face à l’imminence du péril, les attitudes divergeaient : se taire, s’isoler, se laisser envahir tout entier par la perspective du combat à venir ; ou bien faire comme si de rien n’était. Lui était de ceux-là. Il ne fallait pas se leurrer, sa gorge se serrait comme celle des autres, chacun de ses gestes se paraît d’un halo d’appréhension, mais il refusait de céder à l’appel de la mort, il aurait bien assez le temps de la regarder en face. Alors il plaisantait avec son meilleur ami de toujours, échangeant les mêmes boutades qu’à l’ordinaire, se chamaillant comme deux enfants. Ils avaient grandi ensemble, deux maisons voisines, les pères entretenaient de bonnes relations, les mères se rendaient entre elles de menus services ; l’histoire ordinaire, en somme. Les longs après-midis de jeu sur le chemin poussiéreux devant leurs habitations, c’était ensemble qu’ils les avaient connus ; ensemble, les bêtises idiotes, les premiers apprentissages du travail et de la vie ; ensemble, les premières idylles, les premiers rêves, qu’on se confiait sous les rameaux de l’olivier, dans le secret d’une nuit claire et chaude. Ensemble aussi, les premières désillusions, les premiers désaveux, les premières expériences de l’amertume de la vie. Les premières joies, les premières peines, les premiers amours, ils avaient tout vécu ensemble.
Ils avaient joué ensemble à la guerre, et à présent, ensemble ils la faisaient.
Au fond, c’étaient deux enfants grandis trop vite, deux garçons à peine sortis de l’adolescence, que les querelles des puissants avaient projetés dans le tourbillon effréné des luttes et des conquêtes. Ils savaient à peine pourquoi ils combattaient ; on parlait de la belle Hélène enlevée, de Ménélas trompé au sein même de son palais, des rumeurs et des histoires fantasmées courraient le soir, au coin du feu, mais ils ne savaient guère pourquoi leur roi, Ulysse, s’était déplacé aussi jusqu’aux lointains rivages de Troie. Tout cela ne les concernait guère, du reste ; finalement, la trame qui tisserait les gestes épiques avait même moins de valeur à leurs yeux que les chants des aèdes qu’ils écoutaient chez eux. Elle était trop réelle, et elle leur coûtait trop. Les deux jeunes gens, malgré leurs bravades de jeunes coqs avant le combat, ne pouvaient s’empêcher de ressentir une certaine colère. Certes, on leur offrait ainsi une occasion unique de ne pas se contenter de la morne vie commune, à trimer des saisons entières sur terre avant de partir, juste pour un nom fugacement gravé dans une poignée de mémoires, et une éternité à errer dans le champ des Asphodèles. On leur donnait l’occasion de se distinguer, de revenir en héros, ou au moins de rehausser leur nom par l’éclat d’une belle mort. C’était pour ça qu’on les avait poussés à partir. C’était pour ça qu’ils avaient accepté, malgré leurs réticences initiales.
- Tu regrettes, toi ? lui avait un jour chuchoté son meilleur ami.
- Je ne sais pas.
Car le lot des anonymes, malgré l’amertume et les regrets, la peur et le mal du pays, était encore et toujours d’espérer.
Aujourd’hui, le combat avait commencé comme à l’ordinaire, dans le fracas des armes entrechoquées, les vociférations proférées pour s’encourager ou se provoquer, le tumulte exaltant et effrayant de la bataille. Comme d’habitude, les deux amis combattaient côte à côte, et coordonnaient insensiblement leurs gestes. Comme la plupart des soldats d’Ithaque, ils s’étaient plus destinés à élever les chèvres qu’à combattre, et n’avaient reçu qu’une instruction militaire sommaire ; mais ils se défendaient bien, la fougue de la jeunesse compensait le manque de maîtrise.
Pendant le combat, il se remémorait un jour, lointain déjà, perdu dans les brumes de sa vie d’avant, sa vie à Ithaque. Ils étaient partis ensemble garder les troupeaux familiaux. Leurs chèvres vagabondaient sur les flancs escarpés des collines de l’île, et eux marchaient tranquillement, s’aidant de leurs bâtons. Ils se taisaient, pris dans ce silence confortable qu’on ne connaît qu’avec les personnes de grande confiance.
Ils s’étaient assis sous un olivier, avaient sorti le pain et le fromage qui constitueraient leur repas, et avaient regardé leurs animaux gambader. C’étaient de bonnes bêtes, bien dressées, qui malgré l’appel de la liberté ne s’éloignaient jamais vraiment.
Ils avaient parlé de tout et de rien, de la pluie et du beau temps, du mariage prochain du neveu du voisin, et de leur ami qui fréquentait une fille de la ville, avait-il ses chances ? Ce n’était rien de plus que du badinage, et derrière tous ces mots apparemment si négligeables, pesait le poids de tous les non-dits.
Son meilleur ami avait sorti une outre remplie de vin coupé d’eau. Sous la chaleur pesante du début d’après-midi et les assauts incessants du soleil, ils se sentaient grisés, les propos se faisaient plus décousus, s’osaient plus grivois. Derrière affleurait pourtant l’inquiétude ; pourquoi étaient-ils incapables d’envisager de faire comme leurs camarades, alors qu’ils ressentaient profondément en leur chair, l’éternelle préoccupation, l’éternelle crainte, l’éternel rêve, celle d’une idylle digne des héros et des rois, des amants unis pour l’éternité au sein des constellations ?
C’était lui qui le premier s’était penché, insensiblement d’abord, puis plus franchement. Leurs lèvres s’étaient jointes, elles avaient un goût de miel, un goût de vie.
Or, la bataille, si ordinaire, avait brusquement changé de cours lorsque, pour la première fois, la piétaille troyenne, des anonymes comme eux, s’était fendue pour livrer passage à une armure rutilante, richement ornée, une armure de héros. Jamais ils n’en avaient vu de si près, à quelques fantassins de distance, pris d’une frénésie guerrière. D’habitude, ils n’affrontaient que des soldats ordinaires.
Les guerriers ennemis acclamaient, à présent. Hector. Le nom déjà mythique était martelé à leurs oreilles, inlassablement, tandis que le héros enfonçait les lignes grecques.
Dans leurs dos ruissela une sueur froide. Son compagnon flancha. Sa main tremblante lâcha son arme.
Le tourbillon meurtrier fonçait sur eux, à présent. Il ne restait plus que la fuite, honteuse mais salvatrice. Tourner le dos, réflexe immédiat, létal pourtant. Le coup lui perça la jambe, il s’effondra, se recroquevilla. Eviter les piétinements de la masse des guerriers, se traîner plus loin, à l’abri du cadavre d’un char démantelé, survivre, survivre à tout prix.
Ses yeux avaient eu le temps de saisir au vol la fatale scène.
Le second coup porté par Hector. Dans sa rage guerrière, il ne calculait rien, frappait au hasard pour abattre le plus grand nombre d’ennemis possible, se moquait d’achever tous ces adversaires de peu de prestige. Il fallait juste qu’ils tombent.
Et son meilleur ami était tombé aussi. Un jet de sang. La jugulaire. Le corps qui s’abat.
Le monde qui s’écroule.
S’il retrouvait sa dépouille, perdue quelque part sur le champ de bataille, il ferait en sorte de l’honorer comme il le méritait. Il parlerait. Il raconterait. Car le nom du défunt ne parviendrait pas jusqu’aux lèvres des aèdes, sa lignée n’était pas digne d’être chantée, pas plus que sa mort. Son histoire, leur histoire, n’était pas glorieuse… mais elle aurait pu être longue et belle.
S’ils n’avaient pas été que des anonymes, pris dans une guerre qui ne les concernait pas.
« Pourquoi donc as-tu commencé par le mot colère ? »
Voici ce qu’Homère aurait dû répondre à Lucien : « parce que la guerre est le lieu de toutes les colères, en particulier de celles que je n’ai pas chantées.
Les colères des anonymes. »
2e prix : Cécile Jayr, Lycée Bertran de Born, Périgueux
Titre de la nouvelle : Pénélope endormie
L'aurore envahissait par sa lumière l'atelier de Cavelier, logé à la villa Médicis. Rome sommeillait encore, bercée par les souvenirs de son passé antique. Au mont Pincio, seuls résonnaient les glissements du rifloir sur le marbre. Ce matin-là, Cavelier travaillait ardemment. Tous ses membres, toute son attention se portaient sur son œuvre : une femme grecque.
Il souhaitait la recréer, donner à nouveau un air de vie à cette reine d'Ithaque. Cavelier n'avait pas l'audace de la créer. Homère l'avait précédé et il le savait. C'était d'ailleurs dans les pages jaunies de l'Odyssée qu'il avait découvert cet archétype féminin. Pénélope l'avait envoûté. Depuis, des moments de spéculation et d'évasion ravissaient son esprit et l'emmenaient sur l'île d'Ithaque, aux confins de la mer Ionienne. Le monde grec était alors enveloppé des douceurs nocturnes. Et en un somptueux palais, il contemplait Pénélope ôter un à un les fils de laine et de soie. C'est à peine si elle les effleurait de ses blanches mains. Elle tissait le linceul de son beau-père Laërte le jour et l'effilait la nuit venue. Elle trônait en majesté, dotée d'une allure de reine. Elle n'avait rien à envier aux déesses de l'Olympe. Sa grâce céleste égalait celle de la jalouse Artémis. Cavelier avait conçu en secret le projet de reproduire la Pénélope d'Homère. Il souriait à l'idée de la doter d'un support de marbre, elle qui jusque-là reposait sur des papyrus, des parchemins et des pages jaunies. Son fantasme peu à peu prenait forme et devenait réalité. A l'image du poète archaïque, il souhaitait lui donner un air de vie. Pour cela, le sculpteur avait tout choisi. Le marbre, par sa transluminescence, offrait un semblant de peau humaine, et sa transparence donnait à la sculpture une profondeur visuelle au-delà de sa surface, lui conférant ainsi un certain réalisme. La technique en ronde-bosse achevait de participer à un semblant d'être humain. Même les instruments du sculpteur jouaient le jeu : les glissements du rifloir semblaient scander les beaux titres de ce personnage homérique. Son œuvre achevée semblait vivante. Et, de ses doigts, Pénélope dénouait les fils. Droite et gracieuse, son regard se portait sur sa tapisserie. Elle était seule en éveil à cette heure de la nuit.
Les clochers de l'église de la Trinité des Monts retentirent, ils marquaient les sept heures et tirèrent le sculpteur de ses rêveries.
« D'un instant à l'autre, il sera là... » murmura Cavelier, les yeux toujours rivés sur sa création. En effet son maître, David d'Angers, sérieux, rigoureux, et ponctuel viendrait ce matin-là juger ses travaux. Et il verrait l'œuvre achevée. Tout était prêt pour l'accueillir. Cavelier, la joie au cœur et la fierté au front s’apprêtait à lui ouvrir la porte de l'atelier après avoir rangé ses outils. Mais à peine saisit-il sa pochette en cuir d'agneau dans laquelle il conservait soigneusement son vieux rifloir, ses râpes et sa gradine, emportés de Paris quelques mois plus tôt, qu'il se retourna vivement. Sa serviette chuta.
Qui était donc entré ? Personne. Les yeux de Cavelier percevaient-ils quelque chose ? Non, rien. Mais pourtant ses sens ne le trompaient pas, il entendait un souffle humain, léger et presque imperceptible. Cavelier resta suspendu à ces murmures, sans oser bouger. Soudain un bruit résonna sur le sol : une quenouille garnie d'un fin lainage et dont le manche était d'or venait de tomber à terre. Le son de la chute fut secondé immédiatement par une voix mélodieuse mais où la tristesse avait fait son logis.
« Cessez mes doigts, cessez cette ruse. Seulement un instant, un court instant, un simple instant, puis-je évoquer mon bonheur passé ? Ce bonheur, que depuis vingt longues années je ne cesse de pleurer.
Mais toi, jeune homme à la mine aimable, qui es-tu ? Ton attitude ne révèle en rien un prétendant. »
Cavelier se retourna, elle était là devant lui. Jamais il n'aurait pu décrire cette grâce céleste. Il la regarda, ses lèvres se mouvaient péniblement, mais aucun mot ne pouvait en sortir. Alors il lui sourit, d'un sourire plein de respect et d'admiration. Ce sourire plut à Pénélope. En un regard, une confiance s'était établie entre eux. C'est pourquoi la langue de la reine se délia :
« Le roi de Sparte, Icarios, et la reine Périboeia me donnèrent le souffle de la vie. C'est donc dans leur palais que je grandis, heureuse et épanouie. Mon enfance fut douce, tintée de chants et de rires. J'aimais les grandes fêtes que mon père donnait lors des courses de chevaux, domaine dans lequel il était, parmi tout le peuple achéen, le champion. En ces temps-là, moutons rôtis, veaux au miel, figues fraîches et vins à la couleur de pourpre couvraient les tables. Et moi, n'étant que joie et gaieté, dansait autour de ces messiers cuirassés et de ces dames de soie vêtues. Infantile et innocente, je les charmais sans le vouloir. De mon passage se dégageait un parfum, aux doux aromates, dont ma nourrice le matin imbibait mes tempes. Cet élixir fut sûrement la cause de mon involontaire séduction. Car bien vite le désir de m'épouser en saisit plus d'un. Mais mon père ne céda pas face au premier quémandeur. En témoignage de son amour paternel, il souhaitait m'accorder au plus méritant. Ainsi il obligea mes prétendants de jadis, tous princes grecs possédant mille richesses, à disputer ma possession dans des jeux donnés par lui-même. Soucieuse de mon sort, j'assistais à la scène le souffle suspendu. Ulysse fut le vainqueur. Il m'emmena au palais d'Ithaque. Entre ces murs, peu de temps après, je donnai naissance à notre fils que son père baptisa du doux nom de Télémaque, ma douce lumière. Mais les dieux ne semblaient pas supporter mon bonheur. Ils décidèrent de la guerre de Troie où Ulysse partit combattre. Sculpteur, tu me regardes, et je devine tes pensées. Tu me penses venue d'un autre monde, d'une autre époque. Les dieux n’octroient point à tous les mortels la couronne et le drapé de pourpre. Cependant, la douleur nous est commune, la douleur règne à tous les siècles, la douleur est humaine. Les dieux l'envoient et alors comme un insecte à un fruit attaché, elle s'empare de notre cœur, le ronge, le baigne de larmes et l'imprègne d'amertume. Comprends-tu mes malheurs ? Tu me sculptes tout à ma ruse. Et si chaque nuit je l'exécute c'est bien parce que je suis malheureuse. A Ulysse je désire rester fidèle, mais tout m'en empêche. Il est parti avec les fils d'Atrée, depuis plus de dix ans, vers Ilion. Hermès psychopompe aurait mené son âme chez Hadès. Voilà ce que tout mon entourage pense, et moi-même, dans un moment d'évasion où le courage m'est ôté, je m'abandonne à cette pensée. Mais je la refoule vite, car pourquoi ma douleur serait-elle si vive lorsque Ulysse, mon bien aimé, siègerait aux Champs Elysées ? Il m'a laissé dans son somptueux palais, où les prétendants accourent pour boire ses vins et engloutir ses bœufs, ses moutons et ses chèvres grasses. Ils détruisent la richesse de Télémaque, mon rayon de lune dans ces ténèbres. Un jour Ulysse reviendra, un jour il les chassera et mon bonheur avec lui me sera rendue. Séjourner dans notre palais ne suffit pas aux prétendants. Ils souhaitent qu'un hymen m'unisse avec l'un d'eux. Mais aucun n'occupera le lit partagé avec Ulysse, ce lit qu'emplissent mes sanglots et que trempent mes larmes chaque nuit depuis son départ. Pour me dérober de ceux qui prétendent au trône d'Ithaque, j'ai déclaré faire mon choix lorsque les derniers fils du linceul de Laërte seront tissés. Depuis trois années, la nuit je me lève en hâte et en sanglots pour défaire le travail du jour. Combien de temps durera mon stratagème ?
La douleur, l'attente et ce tissage sans cesse fait et défait m'exténuent. Je souhaite tomber dans les douceurs de l'assoupissement. Ah ! si seulement la chaste Artémis daignait m'envoyer à l'instant le secours de la mort ! »
La reine n'était plus à son discours, ni à son tissage, elle s'était abandonnée au sommeil. Ce dernier l'avait saisie en un instant.
Cavelier contempla Pénélope. Ses paroles imprégnaient son cœur des plus profonds et des plus doux sentiments. Assise sur son trône de chêne, elle dormait, les membres détendus, la tête renversée. Elle tenait dans la main droite son fuseau au fil déroulé. Une larme lentement et lestement glissait le long de sa joue. Cavelier s'approcha, hésita puis d'un geste précis, que la sculpture lui avait appris, recueillit la larme royale. Pure comme le cristal, c'était le témoignage de sa fidélité, de sa tristesse et de son humanité. Aussitôt Pénélope redevint de marbre.
L'entrée fracassante de David d'Angers tira Cavelier de son voyage dans l'Antiquité. Il était de retour au XIXe siècle. Comment expliquer à son maître la posture ensommeillée de son œuvre lorsque quelques instants auparavant elle se tenait droite, les fils à la main et les yeux sur son ouvrage ?
Le silence occupait tout l'atelier, le sculpteur attendait la sentence de son maître. Ce dernier contournait la statue, observait les pieds menus, les pelotes de laine, les drapés de la tunique qui habillait Pénélope. Cavelier étouffait, son cœur était son l'emprise d'un seul désir, le plus violent et le plus fou sûrement que jamais aucun homme n'eut : entendre à nouveau sa reine d'Ithaque.
« Il ne s'agit ni d'une attitude royale, ni de celle, toute divine, dont Homère semble l'avoir dotée dans l'Odyssée. Pensez-vous qu'elle laissait son épaule dénudée ? Et ses cheveux épars ? Vous en faites, jeune homme, une créature bien simple, une femme... »
Cavelier souhaitait garder son secret. Pourtant tolérer les insultes dont Pénélope était accablée lui fut impossible.
« Elle manque de majesté ? Mais pas d'humanité. Son épaule est dénudée ? Mais son amour n'est pas envolée. Ses cheveux sont épars ? Mais la tristesse de son cœur n'a laissé au bonheur aucune part. Et si elle revenait parmi nous, si par un miracle elle daignait se manifester, elle nous conterait le malheur qui l’afflige, sa douleur provoquée par le départ d'Ulysse, et sa fatigue de résister continuellement aux prétendants. Pénélope endormie, Pénélope amoureuse, Pénélope fidèle car dans son sommeil elle rejoint Ulysse dans son voyage. »
Pénélope s'était endormie et ce fut au tour du spectateur de se réveiller. Il pleuvait à Paris, c'est pourquoi il était entré dans le musée d'Orsay. Il s'était promené dans la grande salle voûtée en attendant que l'averse cesse. Bientôt, comme une hirondelle au début du printemps, les rayons du soleil annoncèrent le retour du beau temps. Pourtant le visiteur n'y prêta guère attention. Il se tenait au pied de la sculpture créée par Cavelier et dévorait Pénélope des yeux. Son esprit s'était envolé, il avait imaginé un dialogue entre le sculpteur et son œuvre. Lorsque la rêverie le rendit à la réalité, il fut envahi de réflexions. En effet, il comprenait désormais qu'un lien fort unissait l'œuvre, l'artiste et le spectateur. Car, à son tour, il avait saisi la douleur de Pénélope. L'inséparable trio, sans lequel l'art perdrait toute sa valeur, lui apparut alors dans toute sa splendeur et son importance. Pénélope, Cavelier et lui-même, homme du XXIe siècle, étaient unis par les liens sacrés de l'art. Plus que saisir toute la portée artistique, il lui semblait assister au voyage d'un mythe antique, celui de l'épouse fidèle, à travers les siècles. Homère par son épopée et Cavelier par sa sculpture participaient à la transmission de cet archétype féminin. Chacun à sa manière avait souhaité donner un souffle éternel à cette femme grecque. Devant cette sculpture, le spectateur saisissait l'immortalité de l'Antiquité. Cette dernière, malgré la succession des siècles, demeurait toujours présente. Elle était comme la mère dont l'enfant a besoin pour mesurer toute la portée de l'humanité. Et penchée sur l'homme du XXIe siècle, elle veillait sur lui. Elle ne sommeillait point, contrairement à Pénélope en larmes.
Catégorie Enseignement secondaire
1er prix : Elouan Damoy, Lycée des Flandres, Hazebrouck
Titre de la nouvelle : Les dieux, l'étoile et la science
Qu’y a-t-il de plus beau qu’un ciel étoilé ?
C’est avec cette réflexion en tête qu’Alexandre admirait la voûte céleste. Son maître, le vieil Onchos, exigeait de ses apprentis qu’ils connaissent sur le bout de leurs doigts chaque astre constellant la chevelure de Nyx, déesse de la nuit. Bien que réticent au début, le jeune homme ne pouvait se passer de l’enseignement du meilleur maître d’Atlantis.
C’est donc avec aisance qu’il reconnut les nombreuses constellations et étoiles qui le surplombaient. Il admira le Cygne puis son regard survola L’Aigle, La Lyre et Cassiopée,… et s’arrêta tout à fait sur le Dragon. Les yeux plissés, il regardait dans son τηλεαστηρ cadeau de son maître pour voir les étoiles invisibles à l’oeil humain. Il ne comprit pas immédiatement ce qui avait attiré son attention dans la constellation, qu’il avait pourtant vue mille fois. Puis il eut une illumination.
Une nouvelle lumière flamboyait dans les cheveux de la nuit.
*
Il n’était pas loin de minuit quand Alexandre avait fait sa découverte, et il se précipitait maintenant pour en faire part au plus tôt à son maître. Mais, sous le coup de l’excitation, il avait oublié que celui-ci habitait presque à l’opposé des collines, et cela faisait bientôt deux heures qu’il peinait, courant vers la demeure de son maître, suivi par son fidèle esclave Arctos. Bien que tout atlante respectable ait un corps en bonne forme, courir ainsi dans le noir était épuisant.
Le jeune homme avait déjà dépassé les grandes plantations d’oliviers et les collines d’où il regardait les étoiles, et il passait maintenant les grandes murailles d’orichalque, métal précieux entre tous, dont le secret était gardé par les forgerons atlantes.
Une fois entré dans la cité d’Atlas, joyau d’Atlantis, l’élève dut courir encore une quinzaine de minutes avant d’atteindre la demeure de son maître.
Et il pensa soudain à un autre détail, d’une importance cruciale. Le maître devait dormir. Et il n’aimait pas qu’on le réveille.
Laissant esclave et affaires à l’entrée de la grande maison de pierre blanche, il envoya un serviteur chercher maître Onchos à sa place (il y avait toujours un serviteur debout, pour repousser les voleurs, accueillir les visiteurs tardifs et s’occuper du maître quand il rentrait passablement éméché).
Le climat était relativement clément. Alexandre s’assit donc dans la cour intérieure, près d’une fontaine en forme de poissons, symbole incontestable de richesse. Il regarda son reflet à la lueur des torches, et fit en sorte de cacher sa fatigue, pour paraître au mieux devant le savant.
« Que me vaut cette visite ? » grogna soudain une voix derrière lui.
Le maître, petit homme replet à la peau blanche et à l’âge avancé, se tenait juste derrière lui.
Le ton colérique n’ayant pas échappé à Alexandre, il se redressa prestement et montra sa découverte dans le ciel avant que le maître ne le rabroue sévèrement.
Après un long silence, celui-ci déclara enfin : « Une nouvelle étoile dans le ciel est un présage divin, mais je ne saurais l’interpréter ».
Il renvoya enfin Alexandre, un respect nouveau dans les yeux, associé toutefois à une grande inquiétude.
*
Le chant du coq et la rumeur matinale réveillèrent Alexandre après de maigres heures de sommeil. L’esprit encore embrumé, il allait se rendormir quand une bagarre éclata dans la chambre qu’il partageait malheureusement avec ses trois frères. Quand ses parchemins commencèrent à voler, il jugea bon d’intervenir.
Après avoir remis à leur place ses frères, il se prépara à sortir devant un lourd miroir de bronze, qui lui renvoyait l’image d’un jeune homme brun à la peau olivâtre, et à l’air fatigué. Alexandre grimaça. N’importe qui pouvait voir qu’il n’avait pas dormi, tant des cernes se dessinaient sous ses yeux verts.
Après s’être rassasié de figues, de raisin et de pain blanc, Alexandre rejoignit sur l’Agora ses camarades et amis, Oros et Chimon. Il s’étaient tous trois rencontrés chez le maître Onchos, et depuis ne se quittaient plus. Le premier était littéralement une force de la nature, sa taille excédant sept pieds, ce qui l’amenait à deux têtes au dessus de la plupart des gens, qui se montraient craintifs devant lui (sa taille n’ayant d’égale que sa carrure). De nature débonnaire et patiente, il pouvait s’absorber pendant des heures dans l’étude d’une colonie de fourmis, talent inutile mais qui lui avait valu l’admiration du maître.
Chimon, quant à lui, était un vrai tourbillon, les pensées se succédant à un rythme effréné dans sa tête, et il n’hésitait pas à dire haut et fort ce qu’il pensait – pour le malheur de ses proches, bien souvent.
À l’arrivée d’Alexandre, ils débattaient apparemment sur la théorie des quatre éléments, que Oros jugeait fantaisiste. Il plaidait en faveur de la théorie des atomes, qui expliquerait bien mieux, disait-il, le comportement de la matière.
Ils s’étaient tous les trois retrouvés pour participer aux thalassantes, fêtes en l’honneur de la mer et de son dieu, Poséidon. La cité toute entière allait être en ébullition pour trois jours, durant lesquels des sacrifices, des combats navals, des marchés et des célébrations seraient organisés. Les soldats étaient revenus de leur lointains combats pour cette fête, et ramenaient avec eux le fruit de leur conquêtes.
C’est face à ce défilé que se trouvaient les amis en ce moment.
- « Incroyable ! Vous avez vu la couleur de ces fruits ? Oh ! Vous pensez que ces esclaves sont des guerriers égyptiens ? Et vous avez vu ces armes ! Les barbares sont tellement en retard à côté de nous ! »
Chimon alimentait à lui seul la majeure partie de la conversation, ce qui convenait tout à fait aux deux autres, d’un naturel plus silencieux. Alexandre en avait presque oublié cette nouvelle étoile, et marchait dans la ville en fête sans qu’aucune nouvelle n’assombrisse ses pensées. Cette humeur joyeuse dura jusqu’à l’après midi, quand un premier cri retentit : « Regardez ! Dans le ciel ! »
En levant les yeux, Alexandre aperçut une vive lumière qui brillait malgré le soleil haut dans les cieux. Les habitants d’Argos ne parlaient plus que de ce signe des dieux, et l’agitation des lieux poussa les trois camarades à quitter le centre de la ville. En effet, une grande foule se dirigeait vers le temple de Poséidon, afin de savoir ce que cette intense lumière signifiait, et on avait déjà vu des gens périr dans une foule pareille.
Soudain, une voix les retint. Ils passaient devant la maison du maître, et ce dernier les invitait à entrer.
Une fois qu’ils furent installés confortablement sur les klinês, Oros demanda enfin ce qui les tracassait tous : « Maître, savez-vous ce qu’est cette lumière dans le ciel ? »
Trois regards avides posés sur lui, il réfléchit un instant et répondit :
- « Alexandre, as-tu fais part à tes amis de ta découverte ? »
Face à deux regards pleins d’incompréhension, le vieil homme expliqua de quoi il retournait, et exposa sa théorie.
- « Imaginez un instant… Si cette étoile qu’avait aperçu Alexandre était un morceau de métal, tombé depuis l’Olympe ? Il y a une description semblable au phénomène observé aujourd’hui dans un vieux manuscrit que je possède, mais j’avais cru au témoignage d’un fou. Selon lui, une lumière, visible de jour comme de nuit, descendit du ciel et tomba sur le continent. Il prétend aussi que, au point d’impact, il y avait un cratère au fond duquel se trouvait un morceau de fer pur… »
« C’est impossible ! Tout le monde sait que le fer se trouve à l’état de minerai, qu’il faut fondre et forger pour obtenir du fer pur ! »
Chimon se recroquevilla, prenant soudain conscience qu’il avait interrompu le maître. Celui-ci claqua sa langue, mécontent.
« Je disais donc qu’il trouva ce morceau de fer pur, vraisemblablement tombé du ciel. Il s’agissait donc d’un morceau de fer olympien, tombé de la demeure des dieux. Et l’étoile que tu as observée cette nuit, Alexandre, ne devait être que le reflet du char solaire, à ce moment là derrière la terre, sur le métal, conclut le professeur. »
« Êtes-vous sûr que ce métal soit sans danger ? dit Oros, inquiet, en regardant le ciel dans la cour. Il devait se trouver dans un cratère qu’il avait creusé. Et s’il tombait sur une maison ? Ou s’il était assez gros pour faire de grands dégâts ? »
Le maître secoua la tête.
- « Les dieux nous protègent, et c’est une occasion inestimable d’observer ce phénomène rare. Vous pouvez partir si vous le désirez, mais j’irai chercher ce métal dès qu’il sera tombé. »
Un long silence incertain suivit, et tous sortirent dans la cour pour observer la lumière. Peu de temps s’était passé depuis que la lumière avait fait son apparition dans le ciel, et elle semblait grossir de plus en plus, quand soudain elle se scinda. Les deux morceaux descendaient maintenant à vue d’œil, et la panique commença à gagner l’île d’Atlantis. De nombreuses personnes commençaient à voir en la lumière une punition divine et non un cadeau. Les plus virulents disaient que Zeus les punissait d’avoir voulu étendre leurs conquêtes, que c’était un acte d’Hubris, l’orgueil. En effet, cette lumière ne rappelait-elle pas celle de la foudre du roi des dieux ?
Atlas était une cité de science et de savoir. Ce phénomène, nouveau et soudain, inconnu de tous, la plongea dans le chaos. Beaucoup de gens voulurent embarquer vers le continent, et seuls quelques fanatiques ou scientifiques restèrent tranquillement chez eux. Les premiers voulaient subir la punition divine, les seconds n’y croyaient pas. La mère d’Alexandre, elle, resta pour permettre à ses fils d’embarquer dans les bateaux bondés. Ils étaient serrés dans un coin de la cale, derrière les rameurs. Alexandre rassurait ses jeunes frères, terrifiés par le bruit et la cohue régnant sur la trière. Tout en les réconfortant, il attendait la fin.
*
Ce qui se passa ensuite fut en somme très scientifique, de cette science si chère aux atlantes. Les deux fragments de roches stellaires tombèrent, l’un sur l’île, l’autre dans la mer. Le premier fragment rasa une partie de l’île. La ville d’Argos fut soufflée. Le temple de Poséidon, rempli de prêtre et de fidèles, qui pensaient y trouver un abri, fut entièrement détruit. Les fines colonnades, les fresques ouvragées, les statues, les fontaines, tout fut réduit à néant. Les bateaux furent violemment secoués, et les plus légers renversés. Sur l’île, seuls quelques paysans loin du point d’impact survécurent.
Jusqu’à ce que le deuxième fragment prenne le relais. Ce dernier avait percuté la surface de l’eau, puis le fond marin. Pas de quoi en faire un drame me direz-vous. Et si je vous disais que, suite à cet impact, de l’eau avait bougé ? Beaucoup, beaucoup d’eau. Des quantités si astronomiques que toutes les terres d’Atlantis furent submergés, et que, près des côtes, une immense vague détruisit toute la flotte atlante, ainsi que de nombreux villages barbares.
Un dicton atlante dit… enfin, disait : « La nature n’est pas cruelle, mais implacable ». Il fut une nouvelle fois vérifié, car rien ne subsista d’Atlantis la magnifique, la plus riche et plus grande force de l’époque…
Toutefois quelques doutes perdurent sur la disparition de tous les Atlantes. Sans la science d’Atlantis, comment les égyptiens auraient-ils pu construire les pyramides sur le nombre Pi ? Sans leur génie astucieux, comment les lignes de la Nazca auraient-elles pu voir le jour ?
Génies en avance sur leur temps, et au savoir pourtant disparu… Nous ne pourrons jamais savoir qui étaient vraiment les atlantes, mais il y a une chose qui nous relie encore à eux… Nous regardons les mêmes étoiles.

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